Entretien

Le prix Nobel par son éditrice : « László Krasznahorkai, un auteur virtuose et fascinant »

Frédéric Cambourakis et Charlotte Groult - Photo Cambourakis

Le prix Nobel par son éditrice : « László Krasznahorkai, un auteur virtuose et fascinant »

La maison d'édition Cambourakis publie l'œuvre de László Krasznahorkai depuis plus de dix ans. L'une de ses éditrices, Charlotte Groult, réagit à l'attribution du prix Nobel de littérature au grand écrivain hongrois.

Par Marie Fouquet
Créé le 09.10.2025 à 19h06

Livres Hebdo : Quelle est votre première réaction à l'attribution du prix Nobel à László Krasznahorkai, que vous publiez depuis plus de 10 ans ?

Charlotte Groult : Cela fait déjà un certain nombre d’années que nous espérions que l’œuvre de László Krasznahorkai reçoive le prix. Ses premiers grands romans, Tango de Satan et La Mélancolie de la résistance, ont paru en Hongrie respectivement en 1985 et 1989, et leur traduction en français, aux éditions Gallimard, date des années 2000, avant que nous continuions en 2010, d’abord avec Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par les chemins, à l’est par un cours d'eau. Nous sommes donc très très heureux, pour lui et sa traductrice française de toujours, Joëlle Dufeuilly.

Lire aussi : Cambourakis, Gallimard… qui sont les éditeurs français de László Krasznahorkai, prix Nobel de littérature 2025 ?

Quelle est l'histoire de votre rencontre avec László Krasznahorkai ?

C'est une histoire de librairie. Frédéric Cambourakis, le directeur et fondateur de la maison, était libraire avant de créer les éditions Cambourakis en 2006. Il était féru de littérature hongroise depuis l'adolescence et déjà un grand lecteur de László Krasznahorkai. Un jour, il rencontre en librairie Joëlle Dufeuilly, qui est sa toute première ambassadrice en France, puisqu'elle a traduit tous ses livres en français. Ils ont discuté de leur fascination commune pour l'œuvre de Krasznahorkai, et Joëlle lui a glissé qu'il n'y avait pas de nouveau projet de traduction en cours chez Gallimard. Frédéric, qui avait déjà l'idée de créer sa maison, rêvait de continuer à le publier. Il fait partie des auteurs emblématiques de la maison et de son catalogue. Depuis, nous n'avons jamais cessé de publier son œuvre.

Il avait reçu le Man Booker Prize en 2015, l'année de la sortie du livre Le baron Wenckheim est de retour. Quelles avaient été les répercussions dans l'Hexagone ?

Le baron Wenckheim est de retour était très attendu en France, puisqu'il venait clore la boucle romanesque initiée par Tango de Satan, boucle que certains ont qualifiéd de « versant apocalyptique » de l'œuvre de Krasznahorkai. Mais il existe aussi des romans réellement lumineux, qui pourraient constituer le versant asiatique de son œuvre. À sa parution en France en 2023, Le baron avait été sur la liste du prix Médicis qui avait finalement été remporté par Han Kang.

« On réimprime, depuis quelques heures, ses livres avec le bandeau prix Nobel de littérature »

Si vous deviez qualifier sa littérature ?

La majorité de ses lecteurs et lectrices reviennent toujours au même adjectif pour parler de son écriture : « virtuose ». Quand on ouvre un de ses livres, on est instantanément plongé dans un univers savamment construit par une articulation de phrases et une rythmique entêtantes, fascinantes, qui nous entraînent jusqu'à nous faire oublier, presque, la virtuosité. C'est toujours un bonheur de lecture. Et pour nous, c'est aussi un bonheur d'éditeur parce que nous avons été très soutenus par les lecteurs et les libraires. Chaque nouveau titre est attendu. C'est une vraie réussite car il s'agit là d'une littérature exigeante, pas difficile, mais exigeante.

Pourquoi cet auteur parle-t-il autant au public d'aujourd'hui, selon vous ?

Tout est contemporain chez lui. Il a une manière de rendre compte de l'humanité, de la folie – des autres et de la société – qui est extrêmement contemporaine. Son œuvre nous tend, entre autres choses, un miroir et nous offre, en creux, une réflexion sur l'absurde, la répétition, la chute. Sa littérature vient, comme le disait Kafka à propos de la littérature, « briser la mer gelée en nous ». Elle nous agite profondément.

Quels sont les chiffres de ventes de ses livres ?

En littérature étrangère, ce sont de bonnes ventes. Guerre & Guerre s'est vendu à près de 3 500 exemplaires. Petits travaux pour un palais, à 3 000 exemplaires, presque autant que Seiobo est descendue sur terre (3 300). Le Baron s'est vendu à 2 500 exemplaires, comme Le Dernier Loup (plus 2 200 en format poche). Pour La Venue d’Isaïe, on compte 2 200 exemplaires en grand format et 800 en poche. Quant à Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par des chemins, à l'est par un cours d’eau, il s'est vendu à 1 600 exemplaires.

Avez-vous prévu d'imprimer des éditions spéciales à l'occasion de cette attribution ?

On réimprime, depuis quelques heures, ses livres avec le bandeau prix Nobel de littérature, bien sûr. Mais il faut savoir que pour tous nos grands formats de ses romans, nous avons réfléchi à une fabrication un peu à part. Pour rendre leur lecture la plus souple possible, nous avons choisi un format de livres plus haut qu'à notre habitude, avec des marges plus grandes, ce qui fait que le texte est plus aéré. C'est du sur-mesure, fait pour correspondre le mieux possible à l'expérience de lecture que peut être celle des romans de Krasznahorkai.

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