Penny Lane. Excellente initiative que cette première édition française du Pendu de Louise Penny, sorte de préquel des enquêtes de l'inspecteur-chef Armand Gamache et de son fidèle adjoint Jean-Guy Beauvoir. Parue en 2010 dans sa version originale et anglophone, puis traduite pour le Québec en 2022, voici enfin la funeste histoire d'Arthur Ellis prête à rallier nos côtes européennes. Beaucoup plus courte que les autres romans de la série (tous chez Actes Sud, soit une quinzaine de livres parus métronomiquement de 2011 à 2024, sans oublier cet État de terreur rédigé en compagnie d'Hillary Clinton et publié en 2022 chez le même éditeur), cette incursion expéditive dans la petite communauté de Three Pines, bourgade fictive des Cantons de l'Est au Canada, recèle néanmoins toute la sève poétique et insigne de son autrice. En marge des codes du polar, comme le souligne un préambule enthousiaste de la journaliste Marie-Christine Blais, la bibliographie de Louise Penny prend sa source entre une limpidité humaniste et un goût prononcé pour toutes les formes d'art. Résumé ici à une centaine de pages, l'espace manque mais se comprime aussi en un sprint sans espoir de respiration. On gagne en rythme et en intensité ce que l'on perd en digressions autour des personnages secondaires et récurrents de la série. Mais le sens de la mesure reste clairement une constante, dans la droite ligne (la « Penny Lane », dirons-nous) des épisodes qui suivront, s'exprimant toujours par cette habile façon de jouer avec le silence et les intrigues qui bruissent en sourdine. De fait, la personnalité et l'univers d'Armand Gamache nous rappellent volontiers ceux du Jean-Baptiste Adamsberg de Fred Vargas. Autorisons-nous donc un parallèle entre ce Pendu et les trois textes courts de notre archéozoologue française préférée réunis en un Coule la Seine en 2002 (Éditions Viviane Hamy). Même urgence, même élagage sans coupes sombres, mêmes Gamache et Adamsberg, campés aux antipodes de leurs habituels collègues alcoolos et borderline de la littérature de gare. Le flic de Louise Penny est calme et empathique. Alors forcément s'incruste également en filigrane l'ombre d'Hercule Poirot, surtout pour cette scène finale réunissant en une même pièce tous les protagonistes et coupables potentiels de la pendaison.
Et le pendu en question, me direz-vous ? Pourquoi un honnête voyageur se retrouverait-il accroché aux branches automnales et ballotté par les vents ? A fortiori en s'appelant Arthur Ellis, nom emprunté à un célèbre bourreau canadien. Un pseudonyme, bien sûr, et des secrets induits. Les contours d'une vengeance planent ainsi au-dessus de Three Pines, ces « trois pins » marquant d'ailleurs l'emplacement d'un occulte sanctuaire ancestral et approprié. Les rôles s'estompent, se multiplient, s'inversent. Tel est pendu qui croyait pendre. Et le collet se resserre sur un panel de suspects aux mobiles à caractériser. Rédigé à l'occasion d'une campagne d'alphabétisation, ce texte annexe et ramassé s'impose désormais comme une parenthèse parfaite et l'introduction non moins idéale pour appréhender une œuvre tout en sobriété et dignité.
Le pendu
Actes Sud
Traduit de l'anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 13 € ; 112 p.
ISBN: 9782330212643