À côté des plus grands écrivains de la littérature mondiale, la Bibliothèque de la Pléiade a toujours sur faire une place aux philosophes : Platon, Descartes, Spinoza, Kierkegaard… Arthur Schopenhauer (1788-1860) les rejoint enfin avec son grand œuvre Le monde comme volonté et représentation dans une toute nouvelle édition dirigée par le spécialiste de philosophie allemande et directeur de recherche au CNRS Christian Sommer.
Enfin ! disons-nous, car s’il est un philosophe éminemment littéraire, c’est bien le père du pessimisme en philosophie. Grand lecteur des classiques européens comme des textes sacrés hindous, mélomane, polyglotte, styliste hors pair, le maître de Nietzsche fascina les écrivains, de Huysmans à Kafka en passant par Maupassant ou Borgès. Pour tout féru des belles-lettres, lire Schopenhauer est un bonheur. S’il cite Platon, beaucoup Kant, il ne cesse de se référer à Shakespeare, à Goethe, à Dante, aux moralistes français, au théâtre du Siècle d’or espagnol…
Volonté de vivre
Par son pessimisme radical, Le monde comme volonté et représentation, dès sa parution en France au milieu du XIXe siècle, a fait le miel des romanciers naturalistes et des esthètes décadents. Mais de quoi ce système du néant est-il le nom ? Tout l’effort schopenhauerien consiste à rectifier l’erreur fondamentale, selon lui, commise depuis l’aube de la philosophie. Avant sa révolution copernicienne de la pensée, on a considéré à tort que la raison gouvernait la volonté, or c’est l’inverse ! Pour Schopenhauer, l’essence du monde est le « vouloir-vivre » (Wille zum leben), concept que la présente édition traduit simplement par « volonté de vivre », une volonté aveugle qui anime chacun à son insu et au grand dam de sa propre intelligence ayant l’illusion de tenir les rênes.
Le salut par l'art
Cette volonté tyrannique soumet l’intellect à sa soif de perdurer. Ainsi donc, même l’amour n’est-il qu’un leurre employé par l’espèce, destiné à mieux attacher l’un à l’autre deux individus s’imaginant s’être choisis, afin de faciliter leur union et la perpétuation de ladite espèce. L’auteur du Monde comme volonté et représentation dit encore de l’homme que « sa vie, tel un pendule, balance […] entre la douleur et l’ennui. »
Puisque l’existence humaine se définit par le désir : soit on souffre de voir son désir insatisfait, soit il est comblé, et la satiété engendrant l’ennui, on souffre de la vacuité de notre être désormais sans objet. À part nier ce vouloir-vivre, une voie moins suicidaire est possible… Schopenhauer est le grand théoricien du salut par l’art. L’art nous fait oublier ce monstre d’égoïsme qu’est cette volonté de vivre qui dirige aveuglément nos actions, il met entre parenthèses le vouloir-vivre et le suspend grâce à la contemplation du beau. Bref, noir c’est noir, l’important c’est de le savoir, voire de le sublimer – la beauté nous sauvera de l’immonde !