22 janvier > Essai Royaume-Uni

Karl Kraus définit la psychanalyse comme "une maladie qui se prend pour son remède". Le mot du satiriste viennois n’aura pas empêché cette thérapie de prospérer au cours du siècle dernier. Le terme était apparu sous la plume de Sigmund Freud en 1886, l’année où il installa son cabinet dans la capitale autrichienne. Certains faits relatifs à la vie du père de la psychanalyse sont connus : sa naissance en 1856 en Moravie, province de l’Empire austro-hongrois, sa mort à Londres en 1939, son milieu de petits-bourgeois juifs, ses études de médecine à Vienne, son passage à Paris où il suivit l’enseignement du grand neurologue Charcot, son mariage avec Martha Bernays, fille d’une éminente famille juive allemande et dont il eut six enfants, ses patientes hystériques, ses amitiés passionnées avec des confrères ou des disciples…

Pourtant la biographie demeure "impossible", comme prévient Adam Phillips dans l’introduction de son Devenir Freud, essai consacré à l’inventeur de la "talking cure", le soin par les mots. Le psychanalyste anglais, qui dirigea la nouvelle traduction des œuvres de Freud chez Penguin, tente ici de raconter comment Freud est devenu Freud : faire une biographie de la psychanalyse même. L’existence de Sigmund est ainsi relue à travers les lunettes freudiennes. Non sans humour, Adam Phillips prend le maître à son propre jeu : "Nos désirs informent nos faits[…] : [Freud] a inventé la psychanalyse principalement à partir de conversations avec des hommes en soignant essentiellement des femmes. Que la psychanalyse ait été un artefact de l’homosexualité, voilà qui peut nous apprendre quelque chose du désir homosexuel et hétérosexuel de Freud […]."

Freud est un enfant de la modernité européenne : il a trois ans quand paraît Sur l’origine des espèces de Darwin (1859) et meurt l’année de la publication de Finnegans wake de Joyce. Il est avant tout poétique. L’"impossible biographe" insiste sur les aspects les plus créatifs du théoricien de l’inconscient : le rêve comme révélateur d’un désir profond, et surtout la vision de l’enfant comme "figure du migrant", "figure de l’impuissance relative" et de cette frustration, à partir de laquelle sera pensé le complexe d’Œdipe. C’est que la psychanalyse, sans être une "science juive", est née dans un contexte juif particulier en tension entre appartenance à une tradition orthodoxe moribonde et assimilation à une culture libérale et athée. Il s’agissait de trouver sa place. La psychanalyse est par excellence "psychologie d’immigration pour immigrés", "une science en déplacement", et du déplacement. S. J. R.

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