Dans la grande salle du Centre national du livre (CNL) où était organisée la remise du prix Goncourt des détenus ce mardi 16 décembre, le lauréat Paul Gasnier, couronné pour La collision (Gallimard), a reçu sa récompense entouré des membres de l’Académie Goncourt, de trois autres auteurs de la première sélection (Guillaume Poix, Alfred de Montesquiou et David Deneufgermain), de deux détenus membres du jury ainsi que d'Antoine Gallimard, président du groupe Madrigall (Gallimard, Flammarion…), et Régine Hatchondo, présidente du CNL.
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Tous les prisonniers membres du jury n'ont pas pu être présents physiquement ; les autres participent en visioconférence, répartis en une dizaine de petits groupes. Parmi eux, une forte surreprésentation d'hommes. Philippe Claudel, président du jury Goncourt, le rappelle : « Les femmes sont minoritaires dans le milieu carcéral. »
Châteauroux, Beauvais, Toulouse… Dès avant l'arrivée de Paul Gasnier, les établissements pénitentiaires se succèdent à l'écran, chaque membre du jury posant sa question aux trois auteurs présents. Guillaume Poix, auteur de Perpétuité (Gallimard), dans lequel il retrace le parcours de travailleurs du système pénitentiaire, est chaleureusement remercié par un détenu : « Grâce à toi, j’ai vu l’autre côté, l’humanité qu’il y a derrière. »
« Personnes détenues », une précision qui compte
Lunettes relevées sur le front, dossier posé sur les genoux, le plus âgé des détenus que nous appellerons Alain* pour des raisons de confidentialité est installé en bout de fil, à droite. Rejetant le qualificatif de « détenus », il indique préférer « personnes détenues » pour se définir lui et son compagnon, pointant un manque dans l’intitulé du prix.
Dans le public, les questions portent aussi bien sur les ouvrages que sur les auteurs et la composition du jury prestigieux. Philippe Claudel y répond en livrant une série d’anecdotes qui provoquent les rires du public.
L’atmosphère est sérieuse, ponctuée d’échanges nourris, jusqu’à l’arrivée du lauréat. Paul Gasnier prend place à gauche d'un jeune homme. Une trentaine d’années, crâne rasé, tee-shirt noir et baskets blanches, le plus jeune détenu que nous appellerons Julien* l’interroge sur d’éventuels retours de la famille de Saïd (nom inventé par l’auteur pour évoquer l’homme qui a tué sa mère). « Pas de la famille, non, mais son avocate m’a envoyé une longue lettre de remerciement », répond l’auteur.
Un choix hautement symbolique
Qu’un jury de détenus récompense une enquête sociale sur la délinquance n’a rien d’anodin. Le choix ne surprend pas Régine Hatchondo : « C’est une photographie de notre société moderne qui est extrêmement juste. »
Pour Paul Gasnier, c'est un choix symbolique : « Beaucoup de gens m’ont demandé à qui ce livre s’adressait. Les détenus ont apporté la réponse que je cherchais depuis le début. Je pense que cela s’adresse à eux. »
« L’histoire parle de pardon, de vengeance, de justice »
Au cours d’un temps de parole dédié aux journalistes et aux détenus avec le lauréat, Paul Gasnier se réjouit des échanges menés ces derniers mois avec les jurés qu’il qualifie de « lecteurs impitoyables, aux questions acérées ». Julien*, de son côté, explique avoir aimé le livre « en tant que détenu » : « L’histoire parle de pardon, de vengeance, de justice. C’est un livre journalistique, et les détenus sont mordus d’enquêtes. C’est un très bon travail. »
Paul Gasnier lauréat du prix Goncourt des détenus 2025- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Si Paul Gasnier se dit surpris de cette victoire au regard de l’ampleur de la rentrée littéraire, il sourit de son statut de journaliste à Quotidien, sur TMC, qu’il n’estime « pas étranger au coup de projecteur ». Il rappelle toutefois que ces sujets, omniprésents dans le débat politique et médiatique, restent peu représentés en littérature.
Interrogé par Alain* sur le message de l’ouvrage, il insiste : il n’est pas question de faire la morale à qui que ce soit. « S’il fallait retenir une chose, ce serait que la vie et le réel sont toujours beaucoup plus complexes et nuancés qu’on ne le pense. »
« La littérature, c’est une évasion »
Si Alain* remercie Paul Gasnier pour l’envie d’écrire que le livre lui a procurée, l’accès à la lecture revient au cœur des prises de parole. Julien* insiste sur le rôle de l’association Lire pour s’en sortir : « La littérature, c’est une évasion. À l’extérieur, je n’étais pas un grand lecteur. Être ici, c’est une chance. J’ai pu plonger dans les livres, et surtout les analyser, parce qu’en tant que jury, on doit vraiment le faire. »
Faire le lien entre le dedans et le dehors
Un retour d’expérience essentiel pour Philippe Claudel, qui rappelle l’importance de la dignité rendue aux votants : « La première fois que je suis entré en prison, c’était en 1985. J’y ai beaucoup travaillé. C’est un lieu qu’il faut connaître pour créer des ponts entre la société du dehors et celle du dedans. Et quand on est en situation de détention, la lecture prend une valeur considérable. »
Les conditions pénitentiaires restent en toile de fond des discours, jusqu’à cette référence finale glissée avec humour par Alain*, qui remercie « un certain Badinter », « sans qui nous ne serions pas ici aujourd’hui ».

