Enquête à l'anglaise. Il se passe peut-être quelque chose sur le front du roman de genre, et singulièrement sur celui que l'on croyait un peu hors mode du crime novel. Des auteurs aussi estimés par l'establishment littéraire que John Banville ou Martin Suter s'y adonnent avec délice. À ces noms, il conviendra donc désormais d'ajouter celui de Jonathan Coe qui, avec Les preuves de mon innocence, compose beaucoup mieux qu'un pastiche, un roman virtuose et politique en même temps, se jouant des lois du genre pour mieux les transgresser.
De quoi s'agit-il ? D'un meurtre, pardi. Celui, à l'heure de la mort de la reine Elizabeth, de Christopher Swann, un blogueur de gauche, ancien de Cambridge (c'est-à-dire, au regard de ces deux assertions, un oxymore...), retrouvé assassiné dans le manoir d'un riche héritier accueillant ces jours-là le colloque d'un autoproclamé club de réflexion ultraconservateur ou, pour tout dire, franchement réactionnaire. Christopher, infiltré dans ce cénacle, s'était donné pour mission d'en démontrer les funestes et cachés desseins. Il n'en aura pas eu le temps. La Miss Marple de cette histoire, ce sera Prudence Freeborne, l'enquêtrice aux cheveux blancs et à la descente généreuse. Ce sera aussi et de manière plus officieuse, Phyl, une jeune femme d'une vingtaine d'années, fille d'une ancienne camarade d'université de Christopher Swann, qui par désœuvrement s'imagine bien se lancer dans l'écriture de romans policiers. D'une certaine façon, on retrouve dans Les preuves de mon innocence la fantaisie noire du merveilleux Testament à l'anglaise (Gallimard, 1995), qui fit connaître Jonathan Coe aux lecteurs français. Rares sont ceux qui ont écrit sur l'Angleterre contemporaine, des années Thatcher à celles d'aujourd'hui en passant par l'ère Blair, aussi bien que lui et avec autant de justesse et souvent de drôlerie. Le romancier est à la fois sans pitié et en même temps, paradoxalement, empreint d'une profonde humanité. Il est à la fois Dickens et Wilde... Il y a chez lui une volonté d'étirer le temps pour laisser vivre ses personnages. Des scènes qui peuvent d'abord apparaître comme adjacentes sont en fait indispensables à la profonde originalité du récit. Jubilatoire et noir, un enchantement.
Les preuves de mon innocence
Gallimard
Traduit de l'anglais par Marguerite Capelle
Tirage: 50 000 ex.
Prix: 24 € ; 480 p.
ISBN: 9782073101976