Avant-critique Philosophie

Georg Christoph Lichtenberg, "Brouillons" (Noir sur Blanc)

Georg Christoph Lichtenberg - Photo © J.C. Krueger d'après J.L. Strecker

Georg Christoph Lichtenberg, "Brouillons" (Noir sur Blanc)

Le romancier et essayiste suisse Étienne Barilier propose la première traduction intégrale des Brouillons de l'écrivain et philosophe allemand Georg Christoph Lichtenberg. Un monument éditorial et littéraire.

Parution 17 avril

J’achète l’article 1.5 €

Par Laurent Lemire
Créé le 13.04.2025 à 11h00

La vie, cahiers des charges. Il faut se méfier des fabricants d'aphorismes. Leurs vitrines sont pleines de sentences ciselées mais leurs ateliers regorgent d'ébauches conservées dans le plus grand désordre. Le plus souvent, ces fonds de tiroirs servent à alimenter des éditions avec des variantes. Mais parfois, il arrive que des pépites s'y cachent. C'est bien ce qui advient avec cet imposant travail éditorial. Le romancier et philosophe suisse Étienne Barilier a présenté, annoté et traduit les Brouillons de Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799). Mais pourquoi s'intéresser aux scories de cet orfèvre de la formule ? Justement parce qu'on trouve dans cette montagne de notes des perles rares. Mais pourquoi le grand écrivain allemand des Lumières ne les a-t-il pas mises de côté pour un futur ouvrage ? Peut-être tout simplement parce qu'il les a oubliées, parce qu'on ne se relit pas souvent quand on écrit beaucoup, faute de temps. Car passer son temps à relire ce qu'on a inscrit dans ses carnets, c'est autant de temps pris à l'écriture quotidienne. « Il a laissé courir sa plume au fil de sa pensée, durant près de quarante ans, dans ce qui était à la fois un journal intellectuel et un journal intime », note Étienne Barilier dans sa préface. Cette première traduction intégrale en français des Sudelbücher nous renvoie aux Cahiers de Paul Valéry, au Zibaldone de Leopardi ou aux Essais de Montaigne. On y ressent le même mouvement de la pensée à sauts et à gambades, cette volonté de comprendre le monde et sa représentation dans tous les domaines, d'où de nombreuses incursions ici dans les sciences. Tout ceci pour comprendre la place que l'auteur y occupe. On a tiré de nombreux recueils d'aphorismes de ces Sudelbücher. Les voici replacés dans leur environnement, dans le fatras d'un bureau qui déborde. On y voit les errances, les repentirs, les incertitudes, tout ce qui donne à l'existence un minimum d'attrait. Sans oublier l'humour : « Je donnerais un bon morceau de ma vie pour savoir quelle est la pression barométrique au paradis. »

Car c'est bien l'esprit de Lichtenberg qui émane de cette forêt langagière. Cette attitude devant la vie, la mort et les humains qui ont tant de mal à les différencier, sinon il y aurait moins de dégâts et un peu plus d'envie d'en profiter. Goethe avait vu juste : là où Lichtenberg sourit, il faut se méfier. Mais jamais son ironie ne blesse. S'il se moque de quelqu'un, c'est d'abord de lui-même. Alors bien sûr, qui lira d'une traite ces deux mille sept cents pages ? Personne. On ne découvre pas un tel territoire en une seule fois. Il faut accepter d'y revenir, de s'y perdre pour finalement s'y retrouver, notamment grâce à un index bien pratique. C'est le genre de livre qu'on installe dans sa bibliothèque comme un vieil ami. On le consulte quand le temps est maussade, quand une envie vous prend de lire autre chose, pour se dire que, tiens, lui aussi pensait cela il y a bien longtemps et qu'il l'avait noté dans ses carnets. Enfin ce tumulus verbal pose une question essentielle. Lichtenberg nous présente la vie comme un vaste brouillon. Mais de quoi ?

Georg Christoph Lichtenberg
Brouillons
Noir sur blanc
Traduit de l'allemand par Étienne Barilier
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 69 € jusqu’au 31 juillet ; 79 € ensuite ; deux volumes sous coffret, pour un total de 3754 p.
ISBN: 9782889830244

Les dernières
actualités