Comment a-t-elle écrit ses livres ? Lou, un étudiant de 24 ans en fin de première année de thèse, a lu d’une traite tous ceux de la très impressionnante Caroline Spacek avant d’oser demander un entretien à l’écrivaine qui vit isolée dans une propriété de la campagne anglaise, achetée avec les droits d’adaptation cinématographique de son septième roman. Le rendez-vous est miraculeusement accepté. Mais l’auteure de 39 ans n’ayant accordé aucune interview depuis quatre ans, la rencontre d’un après-midi se transforme en un séjour prolongé de neuf semaines durant lesquelles, devant son jeune groupie lettré, l’idole muette se met à se raconter.
Thésarde en littérature, Julia Kerninon construit un personnage de monstre sacré qui emprunte aux grandes figures mythologiques d’écrivains reclus et de stars de cinéma précocement retirées. On pense à J. D. Salinger ouvrant sa maison à Joyce Maynard, à Thomas Pynchon, à Greta Garbo… A sa sulfureuse « dame » de la littérature, elle imagine une biographie très accidentée avec parentèle de misfits, enfance au milieu des champs de maïs, puis rencontre avec un poète dont elle deviendra à 18 ans la secrétaire particulière et qui lui révélera « un à un les codes des portes blindées de la littérature ». Mais ce qui dans Buvard est plus intéressant encore, c’est l’invention de la bibliographie complète et commentée de Caroline Spacek, de son œuvre et de sa perception critique. « Je commençais à penser que j’avais été présomptueux, que ce n’était pas si facile d’interviewer un écrivain, puisque la vérité n’était jamais une base pour eux, mais plutôt une destination, puisqu’ils maîtrisaient si bien la fiction que tout ce qu’ils pouvaient imaginer sonnait vrai. » Pour une débutante de 26 ans, Julia Kerninon maîtrise déjà bien, elle aussi, les codes de la fiction. V. R.