Au deuxième étage de la bibliothèque Charlotte-Delbo, au cœur du 2e arrondissement de Paris, anciennement célèbre pour ses maisons closes, une signalétique rose vif indique, au fond de la salle, la collection « Eros ». Sur les étagères, l'intégrale du Marquis de Sade côtoie Françoise Rey, Ovidie et Esparbec. Pionnier du genre, cet espace discret de quelques mètres carrés, réservé aux lecteurs majeurs, existe depuis l'ouverture de l'établissement, en février 2008, et contient 500 titres incluant des ouvrages LGBT. Jacques Astruc, responsable de la collection Adultes, a accompagné la création de ce fonds dont les livres sont empruntés au moins un tiers de fois plus que les romans et bandes dessinées traditionnels. « Comme nous sommes assez peu sur ce créneau, les visiteurs viennent de toute l'Ile-de-France ! Pour les satisfaire, on sélectionne les ouvrages avec soin, de la new romance à la pornographie, sans se restreindre. »
Discussions houleuses
Portés par « l'effet Grey », d'autres établissements ont franchi le pas depuis 2013. « Ce roman a provoqué de vifs débats en interne, et il a été l'occasion de s'intéresser de plus près à la littérature érotique déjà présente dans nos rayons. On s'est aperçu que ces romans sortaient plus que les autres », raconte Agnès Gassies, responsable de la médiathèque de Moissy-Cramayel qui a lancé son rayon érotique en 2016. Réservé aux plus de 16 ans, placé dans le secteur adulte dans le fond de la bibliothèque, il regroupe aujourd'hui 260 ouvrages dans une approche élargie de la littérature érotique, rassemblant tous les titres en rapport avec la sexualité.
Comme à Moissy-Cramayel, la médiathèque de Calais a connu des discussions houleuses en interne avant le lancement, le 1er septembre 2018, de son fonds « Rouge Baiser ». « La littérature érotique est encore une littérature qui a mauvaise presse. Elle est taboue, parfois qualifiée de "littérature de caniveau". Il y a aussi une certaine méconnaissance du sujet, autour duquel gravitent beaucoup de fantasmes », regrette Bénédicte Frocaut, directrice du réseau de lecture publique de Calais. Derrière ces réticences, une question : est-ce le rôle de la médiathèque, où se presse le plus souvent un public familial, d'acheter ce type de documents ? Selon Bénédicte Frocaut, pas de doute : « Pourquoi devrions-nous offrir l'accès à un certain type de littérature et l'interdire à un autre ? Ce faisant, on met en place une discrimination. »
Les clichés
ont la vie dure
A Calais, le fonds est soutenu par des animations organisées régulièrement, dénominateur commun des bibliothèques publiques proposant une offre érotique. « On doit systématiquement refuser du monde », détaille Jacques Astruc, même si, selon Agnès Gassies, les clichés ont la vie dure. « Souvent, on reçoit des réflexions comme : "vous allez faire une animation sextoys ?" alors qu'il ne vient à l'idée de personne de demander si l'animation autour du fonds policier consistera à apprendre comment découper son mari. »
Si ces bibliothèques restent très marginales dans le paysage français, les lignes pourraient bouger dans les années à venir. Jacques Astruc a déjà été sollicité par des collègues de Strasbourg, Toulouse ou encore Lyon. « Les fonds érotiques font encore un peu peur, mais c'est en train de changer avec l'arrivée d'une nouvelle génération de bibliothécaires post-68. Il y a toujours des blocages en termes d'image, mais le rapport à l'érotisme évolue. » W