L'esprit d'aventure. "La sauvagerie l'avait toujours attirée", écrit Céline Minard à propos d'Amaryllis Swansun au début de Tovaangar, et l'analogie entre l'écrivaine et son héroïne effleurera sans doute le lecteur fidèle. Depuis Le dernier monde (Denoël, 2007), récit-odyssée du dernier homme sur la Terre, Céline Minard explore l'inhospitalier, des immensités vierges du far west (Faillir être flingué, Rivages, 2013) aux bas-fonds de Hong Kong (Bacchantes, Rivages, 2019), du passé médiéval (Bastard Battle, Léo Scheer, 2008) au futur postapocalyptique. Appartenant à une humanité en survie, ses personnages se confrontent à de nouveaux territoires à explorer, des territoires pouvant être perçus comme une métaphore des genres (journal, western, science-fiction...) traversés par l'écrivaine depuis ses débuts.
Dès ses premières pages, Tovaangar immerge le lecteur dans un monde d'après, où de nouvelles sociétés se sont construites sur les ruines de la civilisation humaine. Composées d'être hybrides, elles jalonnent le cours de la rivière Paayme Paxxayt, personnage à part entière dont les méandres rappellent ceux du fleuve Los Angeles, dont le béton contrôlait jadis le lit. Appartenant à la caste des « Expés », Amaryllis Swansun et ses coéquipiers partent à la rencontre des différentes cultures installées le long de la Paayme Paxxayt, de Frog-Toh (l'actuelle Glendale) à l'île de Pimungna (Santa Catalina). Au fil de leurs pérégrinations, ils découvrent des modes de vie ayant développé des interactions inédites avec leur environnement, des canyons désertiques aux plus denses forêts. « Qu'est-ce qui pousse une Auboisière heureuse à quitter son enveloppe naturelle, celle qui l'a vue naître et lui fournit la nourriture, l'eau, l'air, les jeux, les semblables, et les Autres Corps à profusion, si ce n'est le plaisir de la retrouver égale à elle-même ou subtilement différente. » En écho, on peut se demander ce qui pousse Céline Minard à imaginer, livre après livre, autant de versions d'un futur envisageable, si ce n'est le jeu consistant à déconstruire notre monde actuel, à bout de souffle, pour réenchanter les possibles - et à encourager son lecteur à faire de même.
À la luxuriance des paysages traversés répond l'inventivité d'une langue mêlant termes techniques et néologismes, dans la lignée des inventions langagières d'auteurs de science-fiction tels Alain Damasio, George R.R. Martin ou J.R.R. Tolkien. Si l'on craint de prime abord de passer plus de temps dans le dictionnaire que dans le roman, sa narration et l'originalité des univers fantasmés permettent d'élaborer une géographie cohérente de cette fable écologique - une cohérence qui manquait à Plasmas (Rivages, 2021), le précédent livre de l'autrice, cosmovision formée d'univers épars qui s'effondraient au moment où l'on pensait être invité à y entrer. À l'image de la « cabe » (sorte de cape qui grandit et se rétracte en fonction de la météo, et que l'on devine semblable à la peau élastique des phalangers volants) dont Amaryllis ne se départit jamais, la langue de Céline Minard épouse les contours d'un imaginaire alliant la poésie à la technicité de termes scientifiques, et propose une expérience de lecture aussi vertigineuse qu'audacieuse.
Tovaangar
Rivages
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 686 p.
ISBN: 9782743667917