Après que le Sénat a rejeté le 18 décembre la proposition de loi visant à ouvrir l’assurance-chômage aux artistes-auteurs, les réactions recueillies par Livres Hebdo témoignent de désaccords, tant du côté des organisations d'autrices et d'auteurs, que du côté de l'édition. Si le constat d'une précarité structurelle de ces professionnels fait consensus, les réponses à apporter font débat.
« Faiblesse des arguments »
« Ce rejet n'était pas une surprise », introduit Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels, qui a suivi la discussion en direct depuis le Sénat où elle avait été invitée par Monique de Marco, autrice de la proposition de loi. « Hier, on a vu que tout le monde reconnaît la précarité massive des artistes, que les rémunérations sont discontinues, et que c'est un risque pour la diversité culturelle, mais personne à droite et au gouvernement n'a même l'envie politique de trouver de solution », déplore la juriste et maîtresse de conférences à l'université Rennes 2 où elle dirige l'Institut des sciences sociales du travail.
« Ce qui m'a frappée, c'est la faiblesse des arguments entendus. Assimiler le revenu de remplacement à une salarisation ou à un revenu universel est une confusion juridique majeure : le droit social au sens large n'est pas réservé aux seuls salariés, il protège l'ensemble des travailleurs », poursuit Stéphanie Le Cam en référence aux critiques exprimées par la ministre de la Culture ainsi que par plusieurs élus.
La SGDL pour un dispositif « plus réaliste »
La Société des Gens de Lettres (SGDL), elle, « partage pleinement l’objectif qui est de renforcer la sécurité économique des auteurs », souligne son directeur général Patrice Locmant. Mais elle considère que le dispositif proposé par la sénatrice Monique de Marco n'est pas « très réaliste économiquement parlant, ni très pertinent du point de vue de la prise en compte de la grande diversité des situations et des métiers. »
Patrice Locmant assure cependant que la SGDL « porte, en lien avec d’autres sociétés d’auteurs, le projet d’un dispositif plus réaliste et mieux adapté à la réalité des pratiques, qu’elle aura prochainement l’occasion de présenter et de soumettre à la concertation dans le cadre de la mission de réflexion annoncée par la ministre de la Culture ».
L'annonce par la ministre de la Culture Rachida Dati de cette mission inter-inspections a cependant été diversement reçue. « Il aurait été plus pertinent de commander une vraie analyse économique du mécanisme de revenu de remplacement et de ce que coûtent les artistes-auteurs, estime Stéphanie Le Cam. Je suis convaincue qu'on arriverait à la conclusion qu'ils sont surcotisants par rapport à ce qu'ils touchent de prestations sociales. Sur les près de 400 000 artistes-auteurs, beaucoup ont d'autres emplois et cotisent en effet pour le régime général sans pour autant toucher les prestations sociales de ce régime. »
Les éditeurs partagés
Du côté des éditeurs, le Syndicat des éditeurs alternatifs avait exprimé son soutien à la proposition de loi dans un communiqué du 17 décembre, en particulier au fait que le revenu de remplacement soit financé par une hausse de la « contribution diffuseur » payée par les maisons d'édition. « Cette cotisation, appliquée sur les droits d’auteur, passerait de 1,1 % à 5,15 % : une hausse tout à fait supportable pour les structures éditoriales », affirme-t-il.
Le Syndicat national de l'édition, lui, considère que « le sujet de la protection des auteurs doit en effet être traité, mais que la proposition de loi déposée au Sénat ne correspondait pas à (ses) attentes en ce qui concerne les auteurs de l’écrit ».
Mobilisation continue
Dans les rangs des créateurs mobilisés pour la continuité de revenus, la détermination reste intacte. « Nous sommes en colère du mépris pour notre précarité qui a été exprimé à la tribune », déclare Samuel Sfez, président de l'Association des traducteurs littéraires de France. « Pour autant, ce premier débat parlementaire est en soi une victoire, l'aboutissement d'années de travail syndical de la part des organisations qui en sont à l'origine. Les artistes-auteurs et autrices sont et restent mobilisés, et ne peuvent pas être ignorés. »
« On ne va pas lâcher l'affaire », assure encore Bruno Charzat, membre du bureau du SNAP CGT qui représente notamment des auteurs et autrices de BD et fait partie, tout comme la Ligue des auteurs professionnels, de l'intersyndicale des artistes-auteurs soutenant l'instauration d'une continuité de revenus. « Un texte similaire est dans les tuyaux à l'Assemblée nationale, porté par Soumya Bourouaha qui prend le relais de Pierre Dharréville », poursuit-il. L'élu communiste, non réélu aux dernières législatives, avait en effet déposé une proposition de loi en ce sens en mars 2024.
Avec la députée Camille Galliard-Minier (Ensemble !), Soumya Bourouaha (Parti communiste) a rendu publiques le 26 novembre les conclusions de leur « mission flash » sur la « mise en œuvre de la continuité de revenus des artistes-auteurs ». Pour lutter « contre la précarité structurelle » qui touche ces professionnels, Soumya Bourouaha préconise un droit à l’assurance-chômage, tandis que sa consœur évoque un compte personnel de création.
