Mémoires d'Amazonie. « Paletó est mort. » Quand Aparecida Vilaça reçoit le message, c'est le choc et le chagrin. Même si cette figure centrale de la tribu amazonienne des Wari', « [son] père indigène », comme le qualifie l'anthropologue brésilienne Aparecida Vilaça, souffrait dans ses vieux jours de la maladie de Parkinson, rien ne présageait un trépas si soudain. Paletó aura une cérémonie en bonne et due forme : dans un cercueil, et vêtu d'un costume et des souliers de ville aux pieds. À savoir, selon les rites du christianisme auquel son peuple s'était converti. Mais « jadis, le corps de Paletó n'aurait pas été enfermé dans un cercueil mais sur les genoux de ses parents tandis que d'autres personnes auraient préparé un feu destiné à le rôtir. » Professeure à l'université fédérale de Rio de Janeiro, l'autrice de Paletó et moi avait rencontré cet ancien des Wari' à l'occasion de ses recherches sur ce groupe autochtone encore peu étudié.
Comptant près de 3 000 âmes et vivant dans des villages situés dans l'État brésilien de Rondônia, jouxtant la Bolivie et non loin de la région parcourue par Lévi-Strauss dans les années 1930, la tribu amazonienne n'a eu aucun véritable contact avec les Blancs avant 1956. Avant les missionnaires protestants puis catholiques, les Wari' avaient des croyances aux antipodes de l'enseignement de l'Évangile... Pas de création de l'univers par un dieu unique mais un monde qui a toujours été là, des combats impliquant l'ingestion de ses ennemis, des rites de deuil consistant à manger ses propres morts. Avec la conversion à la foi chrétienne, même le cannibalisme funéraire a disparu.En partageant notamment les repas de ses hôtes - les gongos, insectes au stade larvaire vivant dans les troncs d'arbre, mais pas les poux qu'elle ne s'est jamais résolue à manger -, l'anthropologue de terrain s'était intégrée dans le groupe au point d'être considérée comme l'une des leurs. Elle recueillait ainsi les paroles de Paletó sur ces rites auxquels il avait pris part dans sa jeunesse et put ainsi reconstituer ces funérailles wari' si particulières en les rejouant avec la complicité d'Abrão, le fils de Paletó, qui filmait les scènes. On portait délicatement à la bouche à l'aide d'espèces de baguettes la chair grillée du défunt, « témoignant par ce geste respect et égard vis-à-vis de la famille du mort qui m'avait demandé de le faire disparaître en le mangeant, expliquait Paletó. Les parents ne voulaient plus voir le mort : ils étaient las de toute cette tristesse ».
Aparecida Vilaça rend un tendre hommage au patriarche indigène, en égrenant ses propres souvenirs de la forêt comme les réactions de l'Indien dans la ville : le grand étonnement de ce dernier au cinéma ou devant les telenovelas (l'idée de jeu d'acteur, dans l'esprit wari', est assez incompréhensible). Paletó et moi, outre l'hommage, est un éloge de la rencontre et une fascinante plongée au cœur de l'altérité.