Omerta familiale. C'est l'histoire d'une femme que ses enfants n'appellent pas maman, ni ses petits-enfants, grand-mère. Pour tous, elle est « Betsy », et plus souvent encore, elle est celle dont on ne parle pas. Celle que sa famille ne voyait que trois semaines par an, au mois d'août, dans la maison de la Trinité-sur-Mer où frères, sœurs et cousins se réunissaient pour les vacances d'été. Une « femme inoffensive », « dont les sorties inattendues ne cessaient d'amuser la galerie ». Une épouse qui ne vivait plus avec son mari. Une dame autrefois jalousée pour sa beauté qui portait des marques sur le crâne, comme « deux zones d'ombre de chaque côté de son visage ».

Son arrière-grand-mère, Adèle Yon ne l'a pas connue. Mais son fantôme se rappelle brusquement aux siens quand le fils de Betsy se suicide en janvier 2023, en sautant du septième étage d'un immeuble parisien. Les langues se délient alors. Une tante se souvient que le défunt lui avait raconté comment des inconnus avaient un jour emmené sa mère de force quand il était enfant. « Cette mort est le résultat d'une histoire familiale », regrette-t-elle. D'une histoire familiale et d'un diagnostic de schizophrénie auquel la psychiatrie répondait dans les années 1950 par une opération radicale : la lobotomie.

« Comment basculer du silence au son d'un prénom plombé de secrets ? » À cette question, l'autrice répond par une enquête méthodique et passionnante mêlant les témoignages de ses proches aux empreintes administratives laissées par son arrière-grand-mère. Ainsi apprend-elle que son aïeule a passé dix-sept ans internée, de 1951 à 1967, et que, chaque été, elle suppliait son mari de reprendre une vie normale avec lui. Ainsi découvre-t-elle la correspondance d'un couple mal assorti, entre un homme attaché aux valeurs patriarcales et bourgeoises de son milieu et une femme trop fragile pour y résister. Reproduisant telles quelles certaines de ces archives, Mon vrai nom est Elisabeth est une plongée suffocante dans une époque et dans un cercle familial perclus de secrets. Au portrait de Betsy fait écho un questionnement sur l'héritage de la folie, sur la manière dont la maladie enjambe les générations quand l'omerta continue de les empoisonner. Avec ce travail de réparation, Adèle Yon écrit l'histoire méconnue d'une violence perpétrée sous couvert d'avancée scientifique, et éclaire le terrible sort réservé à celles que la médecine a condamnées plutôt que guéries.