L’œuvre immense du grand William Trevor ne cesse de scintiller. Voici que Phébus exhume un opus majeur de 1976 inédit à ce jour, Les enfants de Dynmouth. L’Irlandais, on le sait, est le maître de la demi-teinte. Un peintre aussi subtil que cruel de l’âme humaine.
On le suit bien volontiers à Dynmouth, au creux de la côte du Dorset. Une petite ville d’eaux, jadis réputée pour ses dentelles et ses turbots. Une charmante station balnéaire avec son front de mer en arc de cercle, sa modeste jetée aux réverbères de fer forgé peints en vert. On compte ici 4 130 habitants dont la moitié sont des enfants.
L’auteur de Lucy (Phébus 2003, repris en Points) et de Cet été-là (Phébus 2012, repris en Points) s’attache au jeune Timothy Gedge. Agé d’une quinzaine d’années, celui-ci a le visage carré, les joues creuses, le regard vorace et les cheveux presque blancs. Timothy a un père aux abonnés absents, une mère qui vend des vêtements pour femmes et une sœur aînée pompiste dans une station-service. Il s’agit là d’un élève pas particulièrement brillant, qui cherche un but dans sa vie depuis qu’il a renoncé à devenir pasteur. Monsieur s’acquitte de menus travaux chez les uns et chez les autres, taille les bordures de pelouse, nettoie les fours, récure les casseroles. Notamment chez le capitaine Gordon Abigail qui lui propose un verre de sherry de Chypre, ce que désapprouve fortement madame Abigail. Pour se détendre, le garçon préfère assister aux enterrements que fabriquer des maquettes d’avions.
Plus encore, il adore jouer des tours. Fureter, être tout le temps à l’affût de ce que font les autres. Découvrir ce que les gens ont à cacher. Timothy engage volontiers la conversation avec les adultes qu’il croise, qu’il visite, titillant ses interlocuteurs et se montrant trop insistant.
A Dynmouth, on écoute alors Petula Clark chanter Downtown et on se rend au cinéma assister aux exploits de James Bond dans Dr No et Les diamants sont éternels. On prépare aussi activement la kermesse de Pâques, le concours de Talents de demain. Timothy a concocté un numéro comique du meilleur effet. Figurez-vous qu’il songe à se déguiser en trois jeunes mariées différentes ainsi qu’à revêtir le costume de leur assassin, George Joseph Smith, célèbre tueur de dames…
Sans avoir l’air d’y toucher, William Trevor avance ses pions avec maîtrise. On ne peut qu’applaudir à sa manière calme et précise de faire peu à peu monter la tension, d’emmener le lecteur là où il le souhaite. Il y a du Maupassant et du Tchekhov chez ce conteur impressionnant et fascinant dont Les enfants de Dynmouth est l’une des plus éclatantes réussites. Alexandre Fillon