Le récit choral, générationnel, éducation sentimentale et apprentissage du chagrin est un genre en soi. Que sont nos 20 ans devenus ? Surtout si ceux-ci se sont déroulés dans la plus jeune et la plus énergique des villes, New York. Le Fitzgerald des Heureux et les damnés a donné le coup d’envoi et la partie s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Jay McInerney en a, en quelques livres fulgurants, posé d’une certaine manière les règles : donner le primat aux personnages, montrer ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, et laisser aux lecteurs le soin de deviner ce qu’ils sont, ne jamais en faire les porte-parole d’autre chose que d’eux-mêmes et de leurs contradictions, traiter la ville où ils vivent moins comme un décor que comme un personnage supplémentaire, le plus important peut-être. Dans son deuxième roman, Kristopher Jansma les respecte très scrupuleusement tout en les magnifiant par une poignante mélancolie.
Soit donc cinq jeunes gens. Ils ont 20 ans et des poussières, et croient que New York peut leur être plus qu’une ligne d’horizon. Il y a Sara, journaliste assez talentueuse pour exercer des fonctions (officieuses) de rédactrice en chef et assez jeune pour ne pas réclamer le salaire qui devrait aller avec. Son futur mari, Georges, un astronome à qui les étoiles semblent promettre le plus bel avenir. Jacob, un peu l’histrion de la bande, juif, gay, poète pour qui l’insatisfaction tient lieu de morale. William, d’origine coréenne, un banquier d’affaires un peu timide. Et Irène, artiste conceptuelle, galeriste, dont le charisme est le ferment du groupe. Dans un New York magnifique et indifférent, seulement préoccupé de survivre au 11-Septembre et à la crise financière, la révélation de son cancer placera chacun face à ses faiblesses et son chagrin trop longtemps tu.
Ce qui fait la réussite de ce bouleversant New York odyssée est moins son argument narratif, somme toute assez attendu, que l’élégance, la subtilité tissée d’humour, avec lesquelles Kristopher Jansma mène son affaire. Au fil des pages, le cœur se serre pour ce requiem pour une jeunesse trompée. Même à New York auquel ce livre est un chant d’amour, parfois la promesse du monde est fallacieuse. Olivier Mony