Andreas Altmann a des faux airs de Stephan Eicher, avec ses cheveux un peu fous et son blouson de cuir. Impression renforcée, même s'il parle parfaitement notre langue, par son petit accent germanique. On ne le lui fera pas remarquer, bien sûr. Dans son roman, le premier traduit en français, on sent dès l'abord que tout ce qui touche à l'Allemagne, c'est-à-dire à son enfance, est un sujet sensible, une plaie à vif qui ne se refermera jamais, et dont le livre, avec son titre provocateur (La vie de merde de mon père, la vie de merde de...) , tente de constituer la catharsis. « Je suis né pas très longtemps après la guerre, lance- t-il d'emblée, dans un village de vieux nazis frustrés, de catholiques répressifs, de pédophiles et de tortionnaires, qui détestaient particulièrement les enfants. »
Souffre-douleur
Son père, Franz Xaver, avait adhéré au NSDAP, le premier parti hitlérien, avait appartenu aux SA puis aux SS, sous l'uniforme desquels il a fait la guerre, sur le front de l'Est, où il a fini lieutenant. Dans le civil, ô ironie, il était marchand de rosaires et de bondieuseries dans la très pieuse Bavière, base électorale de la CSU. « Alors qu'il était brillant et qu'il aurait pu devenir par exemple diplomate », selon son fils, il a préféré l'argent et le confort, en reprenant la très prospère entreprise familiale. Dans le même village, il y avait aussi Spahn, l'instituteur, ex-NSDAP lui aussi, « une brute sadique », et Strohammer, « l'aumônier pédophile », dont il a subi les sévices. « Mon père n'était pas franchement nazi, tempère Andreas Altmann, mais la guerre l'a brisé, même s'il n'en parlait jamais, et il a reporté sa haine, son désespoir, sur sa propre famille ». Il finira par chasser de la maison sa femme, trop faible pour s'opposer à lui et protéger les siens, qu'il remplacera par une vraie mégère, et ses enfants, surtout le jeune Andreas, le souffre-douleur, l'esclave.
Cette « Scheißleben », « vie de merde », il avait décidé de la raconter il y a trente ans déjà, dans un camp de Palestiniens à Ramallah, où il se trouvait en reportage. Dans les années 1990, il était journaliste free-lance pour la grande presse allemande, Geo, Stern, Der Spiegel, Die Zeit, et ça marchait fort pour lui : il a remporté des prix, gagné pas mal d'argent. Avant de tout arrêter, comme il avait renoncé très tôt à sa carrière d'acteur, malgré ses études et son diplôme du Schauspielschule Mozarteum de Salzbourg.
Andreas Altmann est un homme entier, qui ne craint pas les ruptures radicales. Il a quitté son « foyer » à 18 ans, s'est installé définitivement en France en 1992, a cessé le journalisme en 1997 pour se consacrer à l'écriture. Une vingtaine de livres, jusqu'à présent, dans des genres différents, notamment des reportages. Cette Scheißleben, paru en Allemagne en 2011 chez Piper Verlag, son principal éditeur a fait un sacré scandale et s'est vendu à 150 000 exemplaires. « En Allemagne, dit-il, où je retourne faire la promotion de mes livres, on m'adore ou on me déteste. »
On verra si ce texte, à la fois dur, cru et bouleversant, déchaîne ici les mêmes passions, dans cette France qu'il aime, « comme une très belle femme dont il faut comprendre les règles ». Vivre à Paris, pour lui, c'est sa « revanche ». Quant à son prochain livre, ce sera un recueil de ses reportages, réécrits, intitulé Vivre de tous les côtés, prévu chez Piper en octobre. Mais Andreas Altmann ignore encore s'il sera traduit en français.
La vie de merde de mon père, la vie de merde de ma mère et ma jeunesse de merde à moi - Traduit de l’allemand par Matthieu Dumont
Actes Sud
Tirage: 0
Prix: 22 euros
ISBN: 9782330121389