Mauvaise nouvelle : le livre n'est pas un produit de “première nécessité”. Bonne nouvelle : la lecture n'est pas assimilée à un “service pour handicapés”. Moyennant quoi le livre sera donc désormais assujetti à une TVA de 7 %. Que la rigueur budgétaire devienne un dogme, avec en ligne de mire un déficit zéro en 2016 (difficilement atteignable, mais bon...), c'est évidemment une bonne chose. Que ne s'y est-on pris plus tôt, avant que la charge de la dette devienne le premier poste de dépense de l'Etat ! Mais hélas, que ne s'y est-on pris avec davantage de discernement ! En l'espace de moins de 24 heures, on a déjà vu fleurir des initiatives dispersées qui réclament l'annulation de cette hausse de la TVA sur le livre. Ne nous faisons pas d'illusions : toutes ces protestations demeureront inaudibles dans le contexte actuel. Le gouvernement aurait voulu stigmatiser les professionnels de la culture, en les faisant passer pour des privilégiés, qu'il ne s'y serait pas mieux pris. Mais peut-être, après tout, était-ce son intention - ou celle des fonctionnaires de Bercy ? Car rappelons une chose d'importance : contrairement aux travaux d'intérieur et à la restauration, qui avaient vu, ces dernières années, leur taux de TVA baisser grâce à un lobbying intensif des professionnels concernés, l'application du taux réduit au livre résulte d'une politique globale concernant la culture. Outre le livre, étaient en effet concernés par le taux réduit à 5,5 % le cinéma, le théâtre et la quasi-totalité des spectacles vivants : cirque, variété, concerts, etc. Il existe même un taux super réduit, de 2,1 %, qui s'applique aux 140 premières représentations d'une pièce de théâtre de création, ou d'une pièce du répertoire classique donnée dans une nouvelle mise en scène. Aujourd'hui, ces mesures d'ensemble en faveur de la culture sont interprétées, par certains beaux esprits à la vue courte et dont la culture se limite sans doute à regarder TF1, comme des niches fiscales improductives. Sur le site du journal Challenges , un avocat fiscaliste, ancien haut-fonctionnaire à Bercy, déclarait ainsi hier : “ Aucune étude d'impact sur l'accès des classes populaires à la culture n'a jamais été menée. En attendant, on subventionne les places d'opéra des ménages les plus riches !” C'est évidemment une contre-vérité (que ce monsieur aille un peu à Garnier ou Bastille, et il pourra se livrer à une étude sociologique du public d'opéra en 2011...), mais c'est bien dans l'air du temps du populisme, partagé aussi bien à droite qu'à gauche et réciproquement. Et la bonne foi voudrait au moins qu'il soit précisé que les concerts de Johnny Halliday sont pareillement subventionnés qu'un Turandot à Bastille. En arrivant à Matignon en 2007, François Fillon avait eu ce cri du cœur (et de la raison) : “ Comment voulez-vous que je distribue de l'argent, quand il n'y en a plus dans les caisses ?” Ce qui n'a pas empêché son gouvernement de multiplier les allégements fiscaux stupides, et d'inspiration strictement clientéliste. La palme revenant bien sûr à cette diminution du taux de TVA pour la restauration. En contrepartie, les prix devaient diminuer ? Ils n'ont pas diminué. Les établissements devaient embaucher ? Ils n'ont pas embauché. Et, hier, les responsables de la profession ont eut le toupet de déclarer “caducs” des accords qu'ils n'ont jamais appliqués. La filière de la restauration aura fait preuve, de bout en bout, d'un civisme qui commence et s'arrête aux contours de son porte-monnaie. Et maintenant qu'il est urgent de récupérer un peu de l'argent bêtement dilapidé, le gouvernement a donc sorti de son chapeau cette hausse quasi généralisée du taux réduit. “Incohérent”, a relevé non sans justesse François Hollande. Sauf qu'il n'est pas sûr que la gauche aurait fait mieux, elle qui n'a pas vu venir la crise et qui proposait encore, il n'y a pas si longtemps, des mesures désormais d'un autre temps (plans de relance et compagnie). Angela Merkel a prévenu : la crise durera au moins dix ans. C'est une évidence. Il serait donc grand temps qu'à droite comme à gauche, on s'attelle enfin à une réforme de la fiscalité qui rompe avec cette politique de la rustine et du pilotage à vue. Sinon, parce qu'il faudra trouver toujours plus d'argent dans l'urgence, le taux réduit passera à 8 %, à 9 %, voire à 10 ou 12 %. Ça nous pend au nez. Il serait grand temps, également, que les gouvernements, de droite comme de gauche, réfléchissent à leurs priorités, et se demandent, par exemple, s'il est préférable, pour le rayonnement d'une nation et sa vie intellectuelle, de privilégier les cinéastes et les écrivains, plutôt que les bougnats, ou l'inverse.