Une marée de costumes bleus et de chemises blanches déferlant sur le parc des expositions de Paris. Les maires de France tiennent leur congrès annuel dans la capitale, ouvert le 19 novembre et s'achevant ce jeudi 21 novembre avec en ligne de mire les efforts budgétaires demandés aux collectivités par le gouvernement de Michel Barnier.
L'austérité budgétaire est dans les conversations de tous les édiles, tant devant les stands leur vendant des légumes bio pour leur cantine ou des peluches « Fêtez vos bébés de l’année avec notre nounours républicain ». D’autres s’instruisent autour de tables rondes, dont l’inédite « Les maires face aux stupéfiants ». Et sur un mur, ce slogan : « Affaiblir les communes, c’est sacrifier les services aux citoyens. Non à l’État confiscatoire. »
Rappelé par Public Sénat dans son studio éphémère, le sujet du moment est bien les cinq milliards d’euros d’économies que le gouvernement demande aux collectivités locales. « L’État nous impose des dépenses, alors que nous sommes déjà saignés à blanc », s'emporte Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes). Et à Livres Hebdo, on se demande : après la hausse du prix de l’énergie et des matières premières en 2022, l’inflation et la crise immobilière de 2023, l’explosion de la dette publique en 2024… à quelle sauce les bibliothèques communales vont-elles être mangées en 2025 ?
La piste de la mutualisation
Dans la librairie du congrès où s'exposent des livres comme La ville face au changement climatique ou Les collectivités territoriales et les femmes, parus aux éditions Berger-Levrault, nous croisons Denis Hamayon, vice-président de Saint-Brieuc Armor Agglomération et maire d’Yffiniac (6 000 habitants, Côtes-d’Armor), qui compte une médiathèque et quatre agents. « La charge principale est celle des personnels. Mais il faut préserver les plages d’ouverture de la médiathèque, et continuer à faire venir des artistes qui donnent envie aux habitants de venir la voir, qui vendent cette connaissance. » Alors où faire des économies ? À travers la mise en place, à partir du 1er janvier, de la navette des 700 000 documents pour les 31 médiathèques de l'agglomération, annonce-t-il. « Cela évitera que toutes les médiathèques du réseau achètent le même bouquin ! »
« Il y a plein de pistes liées à la mutualisation qu’on n’a pas développées », songe Frédy Poirier, maire de Coué (500 habitants, Vienne). Lui teste depuis 2019 le partage du personnel. Son agent technique travaille désormais pour la communauté de communes, et le maire de Coué loue ses services quelques heures par mois. Ménage, fleurs, éclairages de Noël… C’est désormais externalisé. Reste que la mutualisation des communes a demandé une montée en compétences des agents administratifs, ce qui n’aide pas à faire des économies, avance-t-il.
Désintérêt pour le métier de maire… et la lecture ?
Et sa bibliothèque ? « Elle n’a jamais été un poste de dépense », avance l'édile, désolé. Pour la développer, la commune pourrait rejoindre des projets, mais en contrepartie, devrait apporter une enveloppe de base, qu’elle n’a pas. Reste le soutien de la bibliothèque départementale, qui demande un minimum d’heures d’ouverture hebdomadaire.
Comment sortir de cette spirale ? « Il faudrait que l’État nous accompagne franchement dans cette mutualisation, finance l’innovation territoriale, sans que l’on ait à passer par de coûteux bureaux d’étude. Et pour mener cette transition, les maires doivent être compétents et investis. Or, le métier souffre d’un manque d’attractivité », témoigne celui qui peine à former sa prochaine équipe municipale.
Priorités
Désintérêt aussi pour la lecture ? « Les gens lisent de moins en moins, s’inquiète Harry Durimel, le maire de Point-à-Pitre (Guadeloupe) que nous croisons avec son équipe resserrée. Il faut soutenir le goût du livre et lutter contre la désinformation, au risque que les jeunes deviennent de petits "sauvageons", pour reprendre les mots de Jean-Pierre Chevènement. Mais des mères sont de plus en plus seules. L’illettrisme est en progression dans notre territoire. Les jeunes sombrent dans l’ignorance, et la librairie historique de la ville a fait faillite ». La municipalité ne soutiendra pas directement de nouvelle librairie locale. « On travaille avant tout à l’aménagement des voiries, du littoral, à l’attractivité de la ville », priorise le maire. Qui compte sur les associations et bénévoles pour soutenir la lecture.
Pour Brigitte Bochaton, maire de Jacob-Bellecombette (4 500 habitants, Savoie) arborant fièrement son écharpe tricolore, « la médiathèque est une priorité, un outil qui permet aux jeunes et aux “moins jeunes” de se cultiver. Si on a beaucoup investi dedans [à la rentrée, la médiathèque a par exemple étendu la gratuité de l’adhésion à tous, ndlr], ce n’est pas pour que cela s’arrête ».
Et relativisons : en 2023 les communes ont globalement amélioré leur situation financière par rapport à l’année précédente, selon le 5e baromètre AFL (Agence France locale). Moins rassurant : les départements accusent une « dégradation budgétaire inédite depuis dix ans ». C’est donc l’État qui intervient : le ministère de la Culture l’a encore rappelé lors d’une prise de parole ce 20 novembre, il renforce, cette année et les deux suivantes, l’aide auprès des bibliothèques départementales. Et les destinataires finaux de cet argent : les communes.