Décryptage

Taux plein ou réduit, la TVA du livre en zone grise

La TVA sur le livre - Photo Olivier Dion

Taux plein ou réduit, la TVA du livre en zone grise

Discrètement publié l'été dernier, un bulletin fiscal a rendu l'application de la taxe à valeur ajoutée à taux réduit plus stricte sur certains ouvrages. Malgré ces nouvelles précisions, la définition fiscale du livre pose toujours une « insécurité juridique ».

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Par Dahlia Girgis
Créé le 02.05.2025 à 11h00

Pour les profanes du droit fiscal, la phrase suivante peut sembler barbare, mais elle est un nouveau repère pour la taxe à valeur ajoutée (TVA) dans le secteur. Au sein de l'annexe III de la directive 2006/112/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA, le point 6 a fait évoluer la pratique de la fiscalité sur certains produits éditoriaux. Publié à l'été 2024 dans le Bulletin officiel des Finances publiques - impôts (BOFiP-Impôts), il a fait passer en France la taxation de certaines catégories d'ouvrages d'une TVA à taux réduit (5,5 %) à une TVA à taux plein (20 %).

Application plus stricte

Terminé la « ventilation » utilisée pour les cahiers de vacances pour adultes, les conteuses de livre audio jeunesse et pour toute une série d'imprimés. Sans révolutionner la fiscalité du livre, cette instruction administrative rend l'application de la TVA à taux réduit plus stricte. Elle introduit une nouvelle « pratique de redressement, selon moi contestable, sur ce que n'est pas un livre au sens strict », soutient Maître Arnaud Moraine, qui conseille le Syndicat national de l'édition (SNE) ainsi que plusieurs maisons. Tous les ans après l'adoption de la loi de finance, l'avocat associé chargé de l'équipe TVA du cabinet d'audit et de conseil KPMG anime un webinaire pour les adhérents du SNE. Au début du mois de mars, il a profité de ce rendez-vous très suivi par les éditeurs pour faire un point sur la fiscalité du livre. 

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Maître Arnaud Moraine- Photo DR

Pour rappel, un ouvrage bénéficie d'une TVA à taux réduit, uniquement s'il intègre la définition fiscal d'un livre. Selon la dernière publication du BOFiP-Impôts, un livre est considéré comme tel s'il cumule ces conditions : être un ensemble constitué d'éléments imprimés, reproduire une œuvre de l'esprit, ne pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué et ne pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur. Chacune des conditions est détaillée, telle que la notion « d'éléments imprimés », qui prend en compte les livres audio et les livres numériques. Autre exemple, l'espace destiné à être rempli par le lecteur doit être « au plus égal au tiers de la surface totale de l'ensemble ».  

Dans la pratique, certains produits éditoriaux restent complexes à définir. Dans le cas des offres composites, comme un coffret composé d'un livre et d'un objet promotionnel, l'éditeur a l'obligation de vendre sous une référence et un prix unique selon l'article 257 ter du Code général des impôts. Mais un flou persiste sur la nature du produit vendu : le livre - dans sa définition juridique - est-il le caractère principal de cette vente ou est-ce l'objet promotionnel ? Selon l'interprétation de l'éditeur, un taux de TVA réduit ou plein est appliqué. Dans ce type de situation, il n'existe aucune norme de marché. Ces vagues définitions du livre causent « un risque fiscal fort pour les éditeurs », analyse Maître Moraine. Dans le cas où ils adoptent un taux de TVA plein, à 20 %, ils se pénalisent par rapport à la concurrence. À l'inverse, si les éditeurs optent pour l'application d'une TVA à taux réduit, ils risquent un redressement fiscal.

Une concertation publique 

Dans le catalogue de Solar, certains ouvrages ont dû s'aligner à une TVA à 20 % depuis l'année dernière. Il s'agit notamment de jeux de société ou de cahiers de vacances pour adultes. Cette application plus stricte de la TVA à taux réduit a eu un impact sur les marges de l'éditeur. Pour y remédier, le directeur éditorial Didier Ferat oscille entre deux solutions. La première consiste à négocier avec les imprimeurs afin de réaliser des économies sur la fabrication. La secondeest d'augmenter légèrement le prix de vente. Un cahier de vacances pour adultes vendu à 7,50 euros en 2023 est passé cette année à 8,50 euros.  »Nous ne ressentons pas d'impact au niveau des ventes car ce marché est très florissant« , relativise Didier Ferat. Malgré un besoin d'adaptation rapide l'année dernière, l'éditeur n'en est pas à sa première fois. Les changements de TVA pour lui ?  « Un phénomène qui s'étale sur plusieurs années. »

Ces évolutions, Maître Moraine les a suivies depuis près de vingt ans. Il a suivi les mutations juridiques tant sur le livre numérique que sur le livre audio. Les derniers commentaires administratifs dédiés au livre restent toujours insuffisants pour le professionnel. Pour le compte du SNE, l'avocat souhaite solliciter une concertation avec les pouvoirs publics, et notamment le ministère des Finances. La finalité est de proposer une nouvelle définition à jour du livre qui laisse moins de place à une zone grise.  « La profession a besoin de sécurité juridique pour s'adapter à l'évolution du livre », résume Maître Moraine.

TVA à 20 % : Le prix unique s'applique-t-il ?

Maître Moraine répond : « La définition fiscale du livre n'est pas nécessairement la même que celle de la Loi Lang. Le régime des retours prévu pour les livres ne s'applique donc pas forcément à des produits qui ne sont pas des livres. Mais rien n'interdit aux parties de le prévoir contractuellement néanmoins. A contrario, ce n'est pas parce que l'administration requalifie un livre à 5,5 % de TVA en un produit soumis à 20 % de TVA, qu'il n'est plus un livre au sens de la loi Lang.  Les produits qui ne seraient pas des livres au sens de la loi Lang peuvent être vendus au prix qui plaira au libraire. Mais attention, ce n'est pas parce que l'administration fiscale redresse un produit en appliquant le taux normal plutôt que le taux réduit de TVA, au motif qu'il ne s'agirait pas d'un livre, que ce produit ne reste malgré tout pas un livre au sens de la loi Lang. En résumé la définition fiscale n'est pas calée sur la définition de la Loi Lang, et inversement. »

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