Chronique d'une mort annoncée. Quand paraîtra le roman de Soichi Kawagoe, combien restera-t-il encore d'Aïnous, de Gilyaks et d'Oroks sur Sakhaline ? Cette vaste île au climat polaire, située au large de la Sibérie, non loin d'Hokkaidō, fit l'objet de nombreux conflits entre la Russie et le Japon. La partie sud de l'île appartenait ainsi aux Japonais, sous le nom de Karafuto, au moment de la reddition du Japon, le 15 août 1945. Ce qui n'empêcha pas des soldats isolés et fanatiques, comme le première classe Genda, un espion volontaire pour le front, de combattre encore après l'armistice et de se faire tuer pour rien. Banzaï ! Le roman-fleuve, lent, foisonnant et ramifié de Soichi Kawagoe, pour lequel l'auteur reçut le prix Naoki en 2020, s'ouvre et se clôt sur cet épisode. Par la mort de Genda et la fraternisation entre Ipékara, une des dernières Aïnous, joueuse de cithare autodidacte, et la caporale Alexandra Kournikova, jeune ethnologue de Leningrad qui s'était engagée en 1941 dans l'Armée rouge. Tout en flash-back, le livre retrace la triste épopée des Aïnous de Sakhaline de 1881 jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre-temps, une partie d'entre eux fut contrainte par les Japonais à la déportation sur Hokkaidō et à la japonisation.
Impossible de résumer tout ce qui arrive à Yayomanekf, Sirstoka et Taruji, les trois principaux héros, à Kisarasui, qui deviendra la femme de Yayomanekf et la mère de son enfant, ni les guerres, ni les épidémies de choléra ou de variole qui les déciment. Un Polonais né en Lituanie, Bronislaw Pilsudski, impliqué dans un projet d'attentat contre le tsar, déporté puis exilé à Sakhaline durant vingt-cinq ans, va se prendre de passion pour les Aïnous, et même épouser la jeune Chupsanma, qu'il abandonnera pour rentrer chez lui faire la révolution, comme son frère Jozef, lequel finira maréchal et premier ministre de son pays. Ethnologue amateur, Bronislaw va collectionner les objets traditionnels, tenir des carnets très précis, et même enregistrer sur des cylindres la jeune Ipékara chantant en s'accompagnant à la cithare. Un document préservé, rare, de la culture d'un peuple en voie d'extinction. Dans leur langue, « Aïnous » signifie « êtres humains ».
Source de chaleur
Belfond
Traduit du japonais par Patrick Honnoré
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 24 € ; 432 p.
ISBN: 9782714499721