Mitoyens d'une entreprise de location de voitures et d’utilitaires, les bâtiments qui abritent l’association Banlieues School ne paient pas de mine. Le flux automobile de la RN3 qui coupe en deux la ville de Madame de Sévigné est incessant. La plupart des lettres en relief de l’enseigne sont tombées de la devanture. Il ne reste plus que le logo accompagné d’un dièse # suivi d’un « A_H O O – La réussite à long terme ».
« Un prof m’avait dit : « Si on vous propose d’aller au théâtre, allez-y, même si c’est la dernière chose que vous avez envie de faire », car il faut toujours savoir saisir les opportunités », lance Sophie, 17 ans, lycéenne à Paul-Eluard à Saint-Denis. Ce conseil, elle l’a fait sien. Avec 30 autres jeunes de 13 à 18 ans, elle a candidaté en septembre dernier au « Young Entrepreneurs Program » (YEP) de Banlieues School. Depuis, le groupe se donne rendez-vous dans ce modeste local de Livry-Gargan deux samedis après-midi par mois. Le 7 mai, ils sont neuf à assister à l’atelier d’écriture qui débute à 10 h. Maëva, Kévine, Sahwa, Ouassim, Klément, Selma, Laëtitia. Toutes et tous ont un projet. Sauf Abidine, 13 ans, le benjamin. Lui n’est pas encore sûr du sien...
« C’est archi important de maîtriser l’écriture. Ça fait partie des compétences indispensables »
L’association Banlieues School est née au tout début de la pandémie, en mars 2020, pour pallier le phénomène de décrochage scolaire accentué par « l’école à la maison » durant les épisodes de confinement. « Beaucoup de jeunes écrivent parfois comme à l’oral ou ne savent pas faire comprendre ce qu’ils veulent dire. D’autres rencontrent des difficultés à envoyer les grandes lignes de leur projet à des associations. Nous avons donc a mis en place des ateliers d’écriture pour leur permettre d’acquérir les fondamentaux », explique Mona Amirouche, professeure de SES dans le secondaire et le supérieur à Saint-Denis (93), et cofondatrice de l'association.
Aujourd'hui, elle accueille l'écrivaine Mona Messine. Le petit groupe est installé autour de tables disposées en carré. Pas de nuisances sonores extérieures. Double vitrage efficace, atmosphère détendue. « J'ai été sollicitée pour cet atelier car j’interviens déjà dans d’autres dispositifs, explique Mona Messine. J’ai lancé une école d’écriture avec laquelle je travaille avec tout type de public ». Elle se présente ainsi à son auditoire : « J’ai 29 ans, et avant de faire ce que j’aime, écrire, j’ai travaillé pour de grosses entreprises comme Air France. C’était beaucoup de tableaux Excel… ». Les oreilles sont attentives. Mona Messine insiste sur l’intérêt de maîtriser l’écriture : « Pour porter vos envies, aller plus loin dans vos projets, il va falloir en parler et les présenter à d’autres, et pour ça, c’est archi important de maîtriser l’écriture. Ça fait partie des compétences utiles, indispensables pour la communication, que ce soit pour des e-mails ou pour ses posts Instagram ! ».
Les élèves se présentent à leur tour. Sophie, grand sourire, salopette en jean, voudrait lancer une application mobile pour répertorier toutes les fringues des garde-robes de façon à ne pas en laisser une de côté. Objectif : utiliser tous ses vêtements et moins consommer de fast fashion. « Moi je voudrais créer une agence immobilière pour des étudiants, par des étudiants car 1/3 d’entre eux sont en stress permanent face au logement », enchaîne Ouassim, sur un ton formel, presque récité, petites lunettes carré posées sur son visage fin. Chacun essaie de "vendre" son idée. Les prises de parole sont claires et construites, voire professionnelles. La confiance est là, dans cette « zone bienveillante », selon la formule de la cofondatrice de Banlieues School.
Donner les moyens de leurs ambitions
L’objectif du « Young Entrepreneurs Program » est de soutenir des jeunes « anxieux dans le contexte actuel, entre pandémie, guerre et réchauffement climatique, et qui veulent changer le monde.» Mona Amirouche leur propose une formation extra-scolaire durant l’année avec cours d’anglais, de gestion et ateliers de prises de parole et d’écriture. Pour clôturer le processus, les trente jeunes lycéens et étudiants décolleront pour la Silicon Valley aux prochaines vacances de Toussaint. « Pour y découvrir l’écosystème, et éventuellement rencontrer des investisseurs. On veut leur ouvrir tout le champ des possibles », s'enthousiasme la professeure de SES. Pour mener a bien un tel programme, l’association Banlieues School s'est entourée de partenaires institutionnels comme le ministère de l’Éducation nationale, mais aussi d'une entreprise comme L’Oréal et de l’école de commerce HEC.
L’atelier d’écriture du jour est une séance créative qui sollicite les capacités d’imagination. Sensibiliser ces jeunes de la sorte est indispensable pour le storytelling. Mona Messine les encourage : « j’ai la certitude absolue que vous êtes capables d’écrire, avec de l’inspiration. Les fautes d’orthographe, je m’en fiche aujourd’hui, ce qui compte c’est que vous ayez écrit avec ce que vous aviez dans la tête et dans le cœur. Décrivez-moi un arbre, qu’il soit fictif ou imaginaire ». Pendant les vingt minutes suivantes, les stylos courent sur les feuilles de papier.
Fin de l'écriture. Tous relèvent la tête : « qu’avez-vous aimé dans le texte de Kévine ? », interroge Mona Messine. Tout le monde narre sa courte histoire et l’autrice demande à l’assemblée son avis avant de faire part du sien. Du conte étrange au récit romanesque, en passant par des narrations très personnelles, toutes les idées se défendent. « Tout le monde connaît un arbre, mais vous avez tous insufflé votre propre qualité d’écriture. C’est comme la signature de la voix, chacun en a une. Toute votre imagination est liée à votre parcours, votre expérience, c’est la somme de tout ce que vous êtes et avez vécu », fait valoir Mona Messine. L’autrice est venue susciter le goût de la plume chez ces jeunes gens pleins de rêve, afin qu’ils puissent eux aussi un jour « réussir à balader un auditoire sur le chemin qu’ils avaient tracé ».