Le phénomène n'est pas nouveau, mais il a changé de visage. Longtemps cantonné à quelques adaptations scolaires ou classiques lues à voix haute, le livre audio jeunesse bénéficie ces dernières années d'un nouvel élan. L'écoute en mobilité, l'habitude du podcast, la montée du « sans écran », ou encore l'arrivée de Spotify ont redonné de la visibilité à ce support longtemps considéré comme additionnel. Les éditeurs, séduits par ce nouvel essor perçu comme un vivier à haut potentiel pour les contenus familiaux, s'y engagent à leur tour, entre premières productions et dispositifs de plus en plus rodés.
« Les études le montrent : les contenus audio prennent de plus en plus de place dans les pratiques des familles. Aujourd'hui, près d'un parent sur deux utilise l'audio comme un divertissement ou une alternative aux écrans », affirme Aude Sarrazin, directrice éditoriale du pôle jeunesse de Glénat. La maison a donc déployé une stratégie à deux niveaux : d'un côté, des créations originales comme Smartville de Vincent Blaviel ou Les histoires extraordinaires de Guillaume Aldebert, conçues comme des expériences artistiques à 360°, avec des versions sonores accessibles via QR code.
De l'autre, une production en partenariat avec le studio Blynd, spécialiste de l'audio immersif, et dont résulte, entre autres, l'adaptation des albums Sam & Watson de Bérengère Delaporte et Ghislaine Dulier et la revalorisation des titres de Marlène Jobert sur la boîte à histoires Yoto.
Récits alternatifs
Pour Bamboo, récemment lancée dans la BD audio, l'objectif est de conserver l'album tout en enrichissant l'expérience du jeune lecteur grâce à une version auditive dépendante du papier. La collection rassemble les meilleurs gags des Sisters et s'étoffera en février prochain avec les aventures des Petits mythos. « C'est un excellent moyen de retravailler un objet, de décliner nos univers et de valoriser notre fonds », assure Olivier Sulpice, fondateur de Bamboo.
Mathilde Davignon, directrice du développement livre audio de Madrigall- Photo FRANCESCA MANTOVANI / GALLIMARDPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
De son côté, Auzou a pris le virage de l'audio dès 2018, en diffusant sur les plateformes les histoires lues des aventures de Loup, particulièrement plébiscitées pendant le confinement. Depuis, la maison - dotée d'une équipe dédiée - poursuit le développement de versions audio autour de ses héros emblématiques, de P'tit Loup à Azuro. Mais l'éditeur se tourne désormais vers les « pistes son », à savoir des créations originales comme Dis-moi, Loup !, récompensée par le prix du public du livre audio du Centre national du livre, et Dans les oreilles de P'tit Loup.
« Ces créations inédites nous permettent d'avoir une présence plus organique sur les plateformes de streaming et d'accroître notre visibilité », explique Avril Blondelot, directrice de la diversification de la maison. Là encore, l'arrivée de Spotify a servi de catalyseur, offrant un accès en streaming limité dans le temps, là où d'autres plateformes privilégiaient l'achat à l'unité ou les systèmes de crédits limités. « Les utilisateurs préféraient souvent consacrer leurs crédits à des titres plus longs et plus coûteux, ce qui tendait à pénaliser le livre jeunesse », complète-t-elle.
L'union fait la force
Certains éditeurs explorent d'autres voies misant, par exemple, sur la mutualisation des ressources et des savoir-faire. Le rapprochement entre Gallimard Jeunesse et BayaM, l'application numérique de Bayard Jeunesse, en est l'exemple emblématique. Depuis octobre dernier, 260 titres de l'éditeur du Petit Nicolas et Gruffalo ont intégré le catalogue audio de BayaM.
Éveil sonore
Destinés principalement aux tout-petits, les livres sonores offrent une approche multisensorielle favorisant l'apprentissage de la lecture. « D'après GFK, les livres sonores en éveil concernent un livre sur trois et représentent 35 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit 38 % du marché de l'éveil. Ce sont des ouvrages coûteux, mais ils nous permettent de créer des passerelles vers les albums de la maison », explique Aurélie Pregliasco, directrice de Flammarion Jeunesse. Sa maison a récemment lancé la collection « Mon livre à écouter », avec des titres comme Roule galette, Les comptines de Noël ou Les premières comptines du Père Castor. Même dynamique chez Didier Jeunesse, qui en propose via son label Piou-Piou ou autour de son antihéros phare, Loup gris, tandis que Gründ, après avoir lancé ses marionnettes puis ses doudous sonores, a développé « Les sonores infinis ». Équipée de batteries rechargeables, une première sur le marché français, cette collection s'est ouverte en octobre sur Mes chansons à l'infini de Nathalie Choux.
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Une convergence qui favorise une offre solide : les jeunes auditeurs retrouvent des personnages familiers, tandis que les parents se voient garantir l'expertise de deux labels patrimoniaux de confiance. « Nous partageons la conviction selon laquelle l'audio est aussi important que le livre papier en termes de fonctions cognitives. Les deux font partie d'un écosystème que l'on ne peut séparer », affirme Mathilde Davignon, directrice du développement livre audio de Madrigall, ajoutant que les productions audio des maisons rattachées au groupe - Flammarion Jeunesse, Casterman Jeunesse ou encore Sarbacane - viendront, elles aussi, enrichir le catalogue BayaM.
Emmanuelle Marie, directrice adjointe du pôle Jeunesse de Bayard- Photo BAYARDPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
« Comme avec notre boîte à histoire [l'enceinte Merlin], nous fournissons une fois de plus la réassurance d'un espace sécurisé, fait pour les enfants, non addictif, et sans algorithme », poursuit Emmanuelle Marie, directrice adjointe du pôle jeunesse de Bayard. De cette façon, l'audio ne se contente plus de simplement compléter l'offre éditoriale existante, mais s'impose comme son prolongement cohérent. Et si les données françaises restent encore limitées, une chose est sûre : le livre audio ouvre de nouvelles perspectives de lecture, faisant de l'écoute une manière d'apprendre à lire autrement.


