Monter et descendre. Chaque jour, on ne cesse de les monter ou de les descendre, sans même nous en rendre compte. « L'escalier est notre quotidien mais on ne le voit plus. » C'est le point de départ de cet essai original. Mais Sébastien Rongier ne se contente pas de ce constat. Après tout, nous accomplissons plein de choses sans en prendre pleinement conscience. Ce docteur en esthétique qui décortiquait dans son premier livre le concept d'ironie à travers les images et le cinéma (De l'ironie. Enjeux critiques pour la modernité, Klincksieck, 2007) reprend ces mêmes outils, la littérature en plus, pour examiner « l'esprit de l'escalier ». Il revient, par exemple, sur « l'ironie tragique de l'escalier », notamment chez Hitchcock. Il explore les différentes figures de la catabase, l'action de descendre, que l'on retrouve dans la figure du monumental escalier d'Odessa dans Le cuirassé Potemkine d'Eisenstein. L'anabase, la montée vers le drame, est quant à elle représentée par celui tout aussi impressionnant de la villa Malaparte dans Le mépris de Godard.
« L'escalier est dans l'ordre des choses. Ordinaire et pratique, il permet un déplacement vertical adouci par l'accumulation des degrés. Mais, comme on l'a compris, cette idée d'élévation complique les choses. Ce n'est donc plus un simple décor ou le ressort ordinaire de l'action. C'est un espace qui relie et rend possibles toutes les symbolisations. » Dans Les structures anthropologiques de l'imaginaire (1960), Gilbert Durand, élève de Bachelard, remarquait que, dans une maison, les escaliers descendent toujours symboliquement et que monter au grenier, c'est encore descendre au cœur du mystère. Le même paradoxe affleure dans cette promenade érudite sur le thème de « l'ai-je bien descendu ? »
L'escalier mécanique, apparu à la fin du xixe siècle, nous avait valu un essai intriguant d'Yves Pagès (Les chaînes sans fin, Zones, 2023). Dans ce petit livre dense et inattendu, Sébastien Rongier revisite des films, des tableaux, des dessins et des ouvrages comme ceux de Proust, Perec ou Borges. L'auteur de La théorie des fantômes (Les Belles Lettres, 2016) souligne combien cet espace essentiel à nos vies se résume à un passage. L'escalier, c'est le lieu par excellence du transitoire. Personne n'y est vraiment, sauf les concierges.
L'esprit de l'escalier. Les arts et les marches
Les Belles lettres
Tirage: NC
Prix: 23 € ; 180 p.
ISBN: 9782251457499