En matière de clair-obscur, Dino Segre (1893-1975), qui signait ses livres sous le pseudonyme de Pitigrilli ("petit-gris", comme la fourrure qu’aimait à porter sa mère autour de son cou), en connaissait un rayon. Cet écrivain turinois, désormais presque totalement oublié, fut dans l’entre-deux-guerres l’un des grands "scandaleux" de son pays, exposant à l’envi mœurs dissolues et cosmopolites, avant de se transformer en fieffé mouchard du régime de Mussolini, puis d’en être à son tour la victime et d’oublier enfin, depuis l’Amérique du Sud où il avait trouvé refuge, ses premiers livres et sa jeunesse au bénéfice d’une pataude conversion catholique. Une trajectoire, mais surtout une œuvre, trop longtemps effacée par l’oubli et ce vague parfum de désordre autour de son auteur.
Avant de lire Cocaïne - qui permettra aux lecteurs français, près d’un siècle après sa parution, de se faire une idée juste de l’étrange folie insolente de Pitigrilli -, il convient sans doute de prendre d’abord connaissance de la postface que lui consacre Umberto Eco. Le sémiologue y dit tout de ce qu’il convient de savoir et de comprendre de cet "irrégulier" des lettres transalpines. C’est ainsi que l’on peut le mieux goûter aux aventures de Tito Arnaudi, jeune dandy italien un rien gommeux, plongé dans le Paris de 1920, de tous les plaisirs, de tous les excès. Deux surtout vont retenir son attention, l’amour bien sûr, jusqu’au risque de soi-même, et la non moins tentante cocaïne. Il y a du Wilde dans ces pages, du Jean Rhys, du Voltaire également, et comme chez tous les grands dépravés un goût paradoxal pour la morale. Un sens du croquis à main levée qui, cent ans après, reste vraiment moderne.
O. M.