Le nabi ne fait pas le moine. Quoique considéré comme l'un des plus grands poètes du xixe siècle, même s'il n'est ni Hugo ni Baudelaire, Paul Verlaine (1844-1896) a pâti de la gloire universelle de son ami Arthur Rimbaud, le météore qui est venu bouleverser sa vie, faire basculer son destin vers le drame. Quant au peintre Maurice Denis (1870-1943), après une phase novatrice avec les nabis (Sérusier, Bonnard, Vuillard etc.). Son engagement postérieur et résolu en faveur de l'art sacré l'a fait passer à côté de toutes les avant-gardes du xxe siècle.
Un livre a réuni ces deux artistes si dissemblables : une édition bibliophilique de Sagesse, de Verlaine, ornée d'« images en couleurs » de Maurice Denis, gravées sur bois par Beltrand. L'ouvrage a été édité en 1911 par le fameux marchand d'art Ambroise Vollard, et tiré à 250 exemplaires. En 1911, Verlaine était mort depuis quinze ans, mais Denis l'avait rencontré de son vivant (ça ne s'était pas très bien passé), et ses dessins avaient été exécutés dès 1889, certains paraissant même dans des revues littéraires. Considéré par les historiens de l'art comme le premier livre illustré par Denis (son chef-d'œuvre, Le voyage d'Urien, écrit, commandé et édité par Gide, date de 1892-1893), Sagesse reparaît aujourd'hui en fac-similé, accompagné de documents préparatoires et d'études érudites et éclairantes sur un processus créatif compliqué. Une publication qui a lieu au moment où Maurice Denis se voit consacrer une exposition au musée d'Angoulême (« Maurice Denis en quête d'ailleurs », jusqu'au 4 janvier 2026) et où les Œuvres complètes de Verlaine vont faire l'objet en novembre d'une nouvelle édition, chronologique, exhaustive, en deux volumes, dans « La Pléiade ».
Sagesse est un recueil complexe et hétérogène. Paru à compte d'auteur chez l'éditeur catholique Palmé en 1880, sans succès, puis repris en 1889 chez Léon Vanier, il avait été commencé par Verlaine en 1874, dans les prisons belges où il purgeait sa peine pour avoir tiré une balle de pistolet sur Rimbaud, le 10 juillet 1873, à Bruxelles, lors d'une terrible scène de ménage. Se confiant à l'aumônier de la prison de Mons, le poète en plein désarroi s'était repenti et reconverti au catholicisme de son enfance. D'où des poèmes pieux, d'une insigne platitude, qui voisinent avec d'autres, plus proches de son inspiration profane, celle de ses chefs-d'œuvre, des Poèmes saturniens (1866) jusqu'à Romances sans paroles (1874) : « Écoutez la chanson bien douce / Qui ne pleure que pour vous plaire. / Elle est discrète, elle est légère : / Un frisson d'eau sur de la mousse ! »... Malgré sa sincérité et la retraite d'un mois qu'il effectua en 1875 à l'abbaye de la Trappe à Chimay, Verlaine reprit bientôt sa vie de désordre, d'errance, de « vices », de déchéance, et mourra clochard vingt ans plus tard. Un nabi n'avait pas suffi à le faire moine.
Sagesse
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 35 € ; 176 p.
ISBN: 9782073122520