«Il y a très longtemps, Ngoh Kolo le mille-pattes ressemblait à tous les autres insectes, car il avait six pattes comme les autres…» Ainsi débute l’histoire de Ngoh Kolo. Publié en 2022 par la maison camerounaise, NMI education, Pourquoi le mille-pattes a beaucoup de pattes ? raconte les déboires d’un myriapode assoiffé de chaussures. Mais pas que. En toile de fond, ce sont aussi les contes et légendes du continent que l’ouvrage se réapproprie. « Ngoh Kolo est un super-héros dans la culture Bassa, un peuple d'Afrique centrale présent au Cameroun », explique Gisèle Mela Ngadehi, directrice de la maison.
À 40 ans, elle se souvient : « Quand j’étais petite, nous n’avions à lire que les manuels scolaires. Ces derniers étaient les mêmes pour plusieurs pays d’Afrique et étaient publiés par des éditeurs occidentaux. Autant dire qu’ils étaient souvent en décalage complet avec la réalité que je vivais au quotidien ».
Quelque 25 ans plus tard, la situation a changé. En témoignent les nombreuses maisons spécialisées en jeunesse comme Ruisseaux d’Afrique au Bénin, Akoma Mba au Cameroun, Graine de pensée au Togo ou Eburni en Côte d’Ivoire qui ont fleuri sur le continent.
500 titres par an
Selon une étude de 2021 du Bief, l’édition jeunesse fait même partie des leaders du marché du livre en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Bénin. « On assiste sans aucun doute à un fort développement de cette production ces dernières années et l’on peut estimer à au moins 500 titres la production annuelle pour l’ensemble des pays concernés », précise l’organisme.
« Ce secteur est sérieusement en train de monter, complète Agnès Debiage, formatrice pour les professionnels du livre en Afrique. Prenez Madagascar par exemple, il y a quinze ans il n'y avait presque rien. Aujourd’hui, vous ne pouvez pas entrer dans une librairie de l’île sans trouver des titres de maisons locales ».

Experte du territoire, Agnès Debiage distingue deux branches dans ce mouvement : une première venant des jeunes parents davantage sensibilisés aux enjeux de la lecture que leurs aînés, une seconde liée au besoin cruel de récits racontés par ceux qui les vivent. « Ces livres sont ceux qui me manquaient petite », dit Gisèle Mela Ngadehi.
Historiquement spécialisée dans le secteur scolaire, sa maison s’est dirigée vers la jeunesse en 2020. « Il y a un vrai besoin dans le marché qui reste encore aujourd’hui largement dominé par l’Occident », insiste l’éditrice. Dans cette même veine, c’est d’ailleurs le documentaire jeunesse qui connaît un véritable engouement. Tandis qu’à Madagascar, les éditions Teny proposent une collection sur l’histoire de l’île, la maison malienne Cauris a débuté une série sur les grandes personnalités africaines.
La Farandole des livres
En 2007, c’est aussi pour cette raison que Binta Tini monte sa librairie jeunesse à Niamey, au Niger. « J’avais deux filles de 12 et 9 ans, elles adoraient lire mais c’était impossible de trouver des livres. Je me suis donc lancée et j’ai ouvert ma librairie. »
Sans formation, Binta Tini apprend sur le tas. « J’ai commencé avec du manga car cela marchait très bien. J’ai aussi suivi les conseils des uns et des autres. On me disait "fais du scolaire”, je faisais du scolaire, on me disait “fais de la papeterie”, j’y allais aussi », raconte la librairie qui multiplie sur ses rayons les titres locaux.
Résultat : la Farandole des livres cartonne. En 2016, forte de son succès, elle doit déménager pour trouver plus grand. « Malheureusement, tout a changé depuis le coup d'État de juillet dernier. Beaucoup de gens sont partis et ceux qui sont restés ont d’autres chats à fouetter que les livres », regrette-t-elle.
Une instabilité politique présente dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne francophone qui mine le secteur et à quoi s’ajoutent d’autres fragilités comme la difficile distribution sur le territoire et l’accès inégal aux ouvrages.
Pour y faire face, Binta Tini fait partie depuis plusieurs années de la caravane du livre, un projet de librairie nomade qui fait le tour de l’Afrique francophone avec des ouvrages à prix réduit et une série d’animations autour de la lecture. D’autres comme Gisèle Mela Ngadehi proposent des co-éditions en langues nationales. « On se bat comme on peut pour défendre le livre », résume Binta Tini. En attendant, les idées ne manquent pas dans ce secteur en pleine construction. Prochaine étape, la construction d’un marché plus global et structuré avec peut-être comme élément déclencheur le forum des éditeurs jeunesse au Togo.