« C'est toujours aussi difficile de faire circuler un livre », résume Dramane Boaré, directeur de la maison les Classiques Ivoiriens, basée en Côte d’Ivoire, au Sénégal et maintenant au Togo. Trente-trois ans après la création de sa maison en Guinée Conakry, la distribution demeure « le maillon le plus faible de la chaîne du livre en Afrique francophone », constate également Aliou Sow (Ganndal Éditions).
Ce dernier a milité depuis le printemps pour obtenir un stand collectif d’éditeurs africains au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (SLPJ), qui s’est achevé ce lundi 1er décembre. « C'est un premier pas. Nous sommes quatre cette année, on espère l'an prochain six, puis dix et plus », se réjouit Aliou Sow lors d’une table ronde consacrée à l’édition africaine sous le thème « rendre visible l’invisible ».
La coédition, remède à l'isolement
Pour les petites structures francophones, la collaboration s'impose comme une nécessité de visibilité. « Si on veut se maintenir et aller dans les autres pays, il faut mettre en avant une politique de coédition », affirme-t-il, en concédant qu’il privilégie actuellement la sous-région de l’Afrique équatoriale plutôt que le marché français. Il publie 17 titres par an. La stratégie permet de mutualiser les coûts et d'enrichir les catalogues. Les Classiques Ivoiriens l'ont bien compris : l'éditeur a créé des filiales au Sénégal et bientôt au Togo pour produire localement et faciliter la circulation des livres en Afrique de l'Ouest.
En Suisse romande, même constat. Avec seulement deux millions de locuteurs, le marché local ne suffit pas. Helvetiq, présent en France via le diffuseur Dilisco, mise sur l'adaptation de ses titres : ses guides Rando bière se déclinent à Chicago ou en Belgique. Askip, structure associative produisant un livre par an, est distribuée en France par Serendip Livres, spécialiste des petits éditeurs indépendants.
Le numérique, porte d'entrée vers l'international
Face aux coûts logistiques prohibitifs, le numérique s'impose. Mais sans visibilité, nerf de la guerre en matière d’édition étrangère, l’effort est vain. Toujours très attachés au papier, les éditeurs africains présents à Montreuil (Bénin BD, Akoma Mba, Ganndal) utilisent les plateformes YouScribe ou Zebra Comix pour toucher des lecteurs inaccessibles autrement. « Le numérique nous permet d'être lu au-delà, de toucher un public qu'on n'a pas la possibilité de toucher avec nos livres physiques », explique Constantin Adadja qui a fondé Bénin BD en 2020.
Le print-on-demand ne s’avère pas non plus miraculeux. « Pour faire de l'impression à la demande en France, il faut qu'il y ait de la demande. Et pour qu'il y ait de la demande, il faut que les produits soient connus », souligne Aliou Sow, qui souligne le cercle vicieux de l'invisibilité.
Traducteurs : le maillon faible de la chaîne
Toujours sur le même thème de rendre visible l’invisible, une table ronde avec des responsables d’instituts et structures d’aide à la diffusion étrangère a mis en avant le processus de visibilité d’une œuvre qui se rapproche d’une chaîne avec de nombreux maillons, dont le premier d’entre eux est le traducteur. Une profession en voie d’extinction dans tous les pays.
« L'âge moyen des traducteurs du tchèque vers toutes les langues augmente », alerte Sára Vybíralová du Czech Literary Centre. La pénurie menace particulièrement les langues moins enseignées. Pour y remédier, les instituts culturels multiplient les initiatives : résidences de traducteurs à Prague et Brno, prix de traduction pour jeunes professionnels, séminaires de formation.
Table ronde sur les échanges internationaux ddans le thème "rendre visible l'invisible" avec Claire Ryu, Ellen Jørgensen, Nicolas Roche, Sára Vybíralová et Eric Dupuy- Photo CAPTURE D'ÉCRANPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
« Il faut les trouver, les intéresser au sujet, les professionnaliser. Après, il faut aussi les payer », rappelle Nicolas Roche, directeur général de France Livre. Un traducteur peut être rémunéré trois à quatre fois moins selon les pays européens.
L'invitation d'honneur dans une grande foire professionnelle reste le Saint Graal. La Norvège sera à Bologne 2026, la République tchèque à Francfort 2026. « Ça permet de donner une photo réaliste de ce qu'est un marché éditorial », note Nicolas Roche. Pour la Corée du sud, invitée d'honneur à Paris en 2016, l'impact fut immédiat : une trentaine de livres traduits, dont La Végétarienne de la future prix Nobel (2024) Han Kang, lauréate du prix Man Booker International 2017, rappelle Claire Ryu, de l’Institut de Culture Coréenne de Paris.
Contacts directs avec libraires et bibliothécaires
Cette dernière peut compter sur une ambition politique depuis de nombreuses années pour faire connaître la culture de son pays dans le monde entier. Sans soutien étatique, pas de percée durable. « Tous les pays qui mènent une politique active de soutien au livre arrivent à exporter », martèle Aliou Sow. La Suisse bénéficie du financement de Pro Helvetia, la France dispose d'un réseau d'attachés livres dans ses ambassades. Mais partout, les budgets se contractent. « Ça n'augmente pas et ça baisse », euphémise Helen Jørgensen de l’Ambassade de Norvège à Paris.
Les fellowships – programmes d'échanges entre professionnels – demeurent essentiels malgré les restrictions budgétaires. France Livre en organise plusieurs, dont un dédié aux éditeurs francophones d'Afrique. « On n'a jamais remplacé le contact humain », confirme Nicolas Roche.
Autre levier pour la visibilité, le contact direct avec les libraires et bibliothécaires français. Les institutions multiplient catalogues bilingues et bases de données. « Il faut créer des repères pour s'orienter dans la littérature tchèque traduite », conclut Sára Vybíralová.

