Le Chien est une île de l’archipel du même nom, en Méditerranée, face aux côtes africaines, qui ressemble comme deux gouttes de lave à la Sicile, avec son volcan, le Brau, qui se réveille ponctuellement et empuantit l’atmosphère. Il ne s’y passe pas grand-chose. Le Maire et les notables comptent sur le projet de Thermes, porté par le Consortium, pour faire sortir leur petit monde de sa léthargie. Cent emplois seraient créés. Mais tout cela est encore secret, et fragile. Que l’attention vienne à être défavorablement attirée sur le Chien, et tout le montage s’écroulerait. Or, c’est justement ce qui risque d’arriver à cause de ce qui se passe, un sinistre matin, sur l’une de ses plages.
Les cadavres de trois migrants, de jeunes Noirs, y sont retrouvés, portés par la mer, par la Vieille, l’ancienne institutrice, une vraie peste, qui y promenait son chien. Le Maire, le Docteur, ensuite le Curé et l’Instituteur, un jeune étranger, mal accepté par les autochtones, se rendent sur les lieux, constatent le drame, et décident de garder cela pour eux, et de faire disparaître les corps, conservés en chambre froide (dans le civil, le Maire est un gros patron-pêcheur), puis jetés dans un gouffre volcanique. Le seul qui ait un problème avec cette omertà, c’est l’Instituteur. Travaillé par sa conscience, il affrète un bateau, mène des recherches pour voir comment les courants marins venus de "là-bas" auraient pu convoyer des corps jusque chez eux, pour la première fois, et fait une inquiétante découverte : les Africains ont forcément été tués sur l’île et jetés à la mer depuis ses falaises.
Le Maire, en chef de clan, décide de le faire taire à tout prix, d’autant que vient de débarquer du continent, par le ferry, un bien inquiétant personnage. Un type odieux, misanthrope, vulgaire, alcoolique, menaçant, qui fouine partout, et que tout le monde prend pour un commissaire de police. En fait, dans ce pays où "tout le monde ment", il s’agit de l’envoyé d’un mystérieux cartel mafieux de passeurs qui s’enrichissent sur le dos des migrants, et ne veulent pas voir leur lucratif business menacé par un scandale. Celui par qui il arrive doit donc disparaître. Après quoi, le faux policier reparti, "évaporé", l’Instituteur mort, l’île va entrer dans une spirale infernale, devenir un désert hostile. Crimes et châtiment, en quelque sorte.
Pour cet Archipel du Chien, Philippe Claudel renoue avec la veine des Ames grises ou du Rapport de Brodeck. Il imagine une espèce de thriller décalé, où la tragédie réelle se mêle à un univers fictif, peuplé de sacrés personnages, avec lequel le romancier joue, tel un deus ex machina. C’est sombre, contemporain, très réussi. J.-C. P.