Jeune, inexpérimentée en librairie, épouse du futur patron. En arrivant chez Montbarbon (Bourg-en-Bresse), en juin 2016, « je n'avais rien pour moi », se souvient, amusée, Emilie Montbarbon. Deux ans plus tard, elle fait l'unanimité parmi ses confrères et les professionnels du livre comme au sein de l'équipe d'une quinzaine de libraires qu'elle s'apprête à diriger. Courant 2019, elle prendra la direction générale et opérationnelle de la librairie, laissant à Martin, son époux et héritier de la dynastie, la gestion des activités de papeterie et de matériel de bureau du groupe Montbarbon.
Une main de fer dans un gant de velours
A 34 ans, Emilie Montbarbon doit autant ce succès à ses aptitudes personnelles qu'à ses compétences professionnelles. Diplômée en langues et en communication touristique, conseillère en séjours à l'office de tourisme de Val-d'Isère de 2010 à 2014, puis chargée de production à l'Agence d'attractivité de l'Alsace juste avant d'intégrer la librairie, elle y a cultivé le sens de l'accueil et le goût pour les relations humaines et la communication, des qualités déjà présentes dans le cercle familial. « Elle est dotée d'un charisme indéniable qui lui donne une autorité naturelle, tout en sachant faire preuve de fermeté, et ce malgré son jeune âge », observe Kamel Ouazani, propriétaire du Forum Mirose à Roanne, qui la côtoie au sein du groupement Libraires ensemble. « C'est une main de fer dans un gant de velours, confirme Philippe Montbarbon, actuel P-DG du groupe Montbarbon. Elle a un talent pour les relations humaines : elle est dans l'empathie sans se laisser faire ni se faire avoir. Or, dans une entreprise de commerce, il n'est question que de relations humaines, du côté de l'équipe comme des clients. Elle s'est naturellement, et rapidement, installée, et non imposée », détaille le futur ancien libraire.
Rien d'étonnant donc au projet qu'Emilie Montbarbon a concocté pour la librairie et à la « touche » qu'elle aimerait insuffler à cette vénérable institution familiale vieille de plus de 150 ans : placer l'humain au cœur de l'activité. « Nos aînés ont été confrontés au défi de l'informatique et du numérique. Les enjeux de notre génération résident davantage dans l'humain et les changements sociétaux : quelle expérience proposons-nous à nos clients et comment, grâce à cela, nous nous démarquons de la concurrence », analyse la trentenaire. Une ambition qu'elle ne se voit pas mettre en œuvre sans emporter d'abord l'adhésion de l'équipe. « Nos vendeurs sont nos ambassadeurs, soutient Emilie Montbarbon, dont le physique tout en rondeur reflète sa chaleur. Si eux ne sont pas persuadés du bien-fondé de cette politique et si nous ne portons pas le projet ensemble, cela n'a pas de sens. »
Décortiquer les processus
Après avoir passé plus d'un an à apprendre le métier en écoutant et en observant tous les postes et tous les niveaux, elle a fait de la communication interne l'un de ses chevaux de bataille, pratiquant la co-construction, apportant plus de systématisme et de formalisation dans les procédures et les pratiques managériales tout en modélisant les circuits d'informations afin d'en assurer la régularité et la fluidité. « Cela fait partie de ces fondamentaux de l'entreprise, de ces rouages sur lesquels doit s'appuyer tout le reste », affirme celle qui reconnaît « aimer démonter la machine et décortiquer les processus pour comprendre ce qui coince et pour mieux la remonter ».
Reste à la future directrice générale à mettre en œuvre le second étage de la fusée : centrer l'ensemble de la librairie sur l'expérience client. Un chantier qui passe, encore et toujours, par « la culture de l'accueil et la personnalisation des échanges. Comme avec l'équipe, nous devons aller au-delà du discours et viser le sur-mesure, martèle Emilie Montbarbon. Reconnaître le client, le saluer, porter son attention au bon moment, l'écouter et prendre en compte sa problématique, l'accompagner auprès de collègues si besoin en reformulant la demande et se positionner avant tout comme des apporteurs de solutions, tous ces détails et toutes ces attentions sont certes chronophages mais indispensables au devoir de proximité qui nous incombe », insiste Emilie Montbarbon, qui souhaite recevoir dans son magasin libraires et clients comme elle les recevraient dans sa maison. « Nous sommes une entreprise familiale et ce n'est pas un vain mot. Ici tout prend une valeur affective et j'aimerais faire régner cette atmosphère dans cette autre maison qu'est la librairie. »
Effet wahou
Jusque dans les soirées exceptionnelles qu'elle organise une fois par an à la librairie, et dont elle estime qu'elles constituent un autre moyen de la faire vivre, elle manifeste cette bienveillance et cette envie de mettre à l'aise les gens. Pour la dernière en date, consacrée à Harry Potter, elle a passé des heures à confectionner des chocogrenouilles et autres élixirs de venin de serpent et à imaginer des animations originales. De la même façon, elle projette de scénariser davantage l'espace de vente afin de créer des univers et de provoquer un « wahou effect ». « J'aimerais que les gens entrent en magasin juste pour le voir, parce qu'il est joli. Et qu'ils se rendent compte ensuite que nous avons mille choses à leur proposer. »
Mais Emilie Montbarbon n'est pas que fantaisie et bienveillance, et ne vit pas « au pays des bisounours ». Si elle a choisi de développer cette touche en plus, cet « "Amazon can't do"qui fait que les clients viendront nous visiter », c'est aussi parce qu'elle s'assure chaque jour que les fondamentaux économiques et financiers du métier sont respectés. Une fois sa période d'observation achevée, son premier chantier a par exemple consisté à canaliser les retours et à retravailler les visites des représentants. « C'est seulement une fois que ces bases sont assurées et que les devoirs sont bien faits que l'on peut se permettre la fantaisie, ce petit truc en plus », estime cette Alsacienne de naissance qui revendique un côté « bon élève » et qui a à cœur de rester fidèle aux valeurs de la maison. « Quand on reprend une telle librairie, dans une ville moyenne et dans contexte aussi concurrentiel, on se doit d'être rigoureux et attentifs à la marche économique et financière de l'entreprise », souligne la future dirigeante. Un tel mariage promet, de l'aveu même de Philippe Montbarbon, une « reprise brillante, si évidemment l'économie suit. Mais savoir endosser le costume de patronne sans perdre le plaisir de la relation humaine augure un bel avenir».
Emilie Montbarbon en dates
1985
Naissance en Alsace, dont elle garde la rigueur, la convivialité et la gourmandise.
2007
Séjour en Angleterre, où elle enseigne le français pendant un an et voyage sac au dos.
2014
Rencontre Martin Montbarbon, avec lequel éclôt le projet de reprise de la librairie familiale.
2016
Arrivée à la librairie Montbarbon.
2019
Reprise effective de la librairie.