Par les temps qui courent, ce genre de projet littéraire, très en vogue au début du siècle dernier, se fait rare. Il naît de la rencontre entre un écrivain ambitieux et un peu fou, tenace, prêt à passer plusieurs années de sa vie en immersion totale, et un éditeur téméraire, qui s'engage sur le long terme et s'efforce d'emporter l'adhésion des libraires. François Taillandier et Jean-Marc Roberts, en l'occurrence, n'en sont pas à leur coup d'essai. L'écrivain a déjà publié chez Stock, d'Option paradis (2005) à Time to turn (2010), une pentalogie remarquée, La grande intrigue, qui balayait toute l'histoire du XXe siècle. Cette fois, François Taillandier récidive avec une trilogie - seulement -, laquelle devrait courir de 476 après Jésus-Christ, date officielle de la fin de l'Empire romain d'Occident, jusqu'à 987, début de la dynastie capétienne installée par Hugues Ier à la place des Carolingiens. La matière est vaste, mal connue et pas très glamour, quoique passionnante et fort utile à la compréhension du présent, puisque c'est durant ce « temps des limbes » que s'est imposé le christianisme, fondement de la civilisation européenne.
Tout le problème, dans une telle entreprise, réside dans le dosage entre l'histoire et le romanesque. Et, dans ce premier volume, François Taillandier a nettement privilégié la première, au risque de déstabiliser un lecteur peu familier avec la Consolation de la philosophie de Boèce, les longs conflits casuistiques entre arianistes, monophysites, diphysites et trinitaires quant à la nature du Christ, ou encore la règle de saint Benoît. Sans compter le contexte européen, les invasions et les conflits incessants, les hordes barbares déferlant sans cesse de l'est, au mépris du vieux limes romain.
Le roman est conçu comme un triptyque dont les personnages sont authentiques : l'aristocrate Cassiodore qui, en 550, à 65 ans, prend sa retraite du pouvoir et se retire dans sa villa de Scylacium, en Calabre, où il fondera une communauté de savants et de copistes ; Léandre, l'évêque d'Hispalis en plein désarroi qui, en 587, se rend à Scylacium pour sauver l'oeuvre de Cassiodore ; et la princesse Théolinda, fille de Garibald, duc de Bavière, qui épouse un roi des Lombards à qui elle succède, devenant une formidable reine moderne, une femme de pouvoir et d'idées.
Les événements se bousculent, les dialogues sont rares, les héros assez méditatifs, qui s'interrogent sur leur époque, leur foi, le bien-fondé de leur vie. Taillandier a amassé une somme impressionnante d'informations, qu'il brasse et restitue, dans une perspective géopolitique et spirituelle. A la fin du livre, en 630, Mahomet entre à La Mecque et impose le culte d'Allah. Peut-être le volume suivant nous transportera-t-il en Orient ?