En anglais bien sûr, mais aussi en espagnol, italien ou d’autres langues, les livres en version originale ont le vent en poupe. Comme souvent, la tendance vient de TikTok. Plébiscité par les plus jeunes, le réseau social s’est imposé depuis cinq ans comme un véritable prescripteur littéraire, drainant au gré des tendances lancées par telle ou telle booktokeuse des flots de lecteurs toujours plus variés. « On nous a demandé des Jane Austen après un buzz », se remémore Luka Mery, libraire chez Ombres Blanches à Toulouse. Mais si les classiques remportent un franc succès auprès des Booktokeurs, des titres plus contemporains, pas encore traduits en français, affolent aussi la Toile. La demande est telle qu’elle pousse les librairies généralistes à renforcer leur offre en version originale.
La librairie Durance, à Nantes, a même dû agrandir ses rayons. « Nous avons connu un boom des ventes après le Covid, jusqu’à atteindre aujourd’hui 6 000 volumes, toutes langues confondues », détaille Delphine Gentils, responsable du rayon VO. « Les plateformes de streaming où l’on peut regarder du contenu en VO et le pass Culture ont amené une jeune génération à se déplacer en librairie », analyse Sandy Orpy, chargée de la littérature et des romans graphiques en VO à Gibert Joseph Saint-Michel à Paris. Emmanuelle Monsallier, représentante de livres en VO en France pour Garzón Diffusion Internationale, bureau d’agents commerciaux spécialisés dans la diffusion internationale de livres en version originale à l’import et à l’export, confirme : « Les demandes connaissent une croissance : +1,35% pour l’espagnol ; +15% pour l’italien, +3% pour l’allemand et l’anglais. »
Multiplicité des versions originales
Caroline, libraire lyonnaise à La Page suivante, décrit « l'homogénéisation et la mondialisation des booktokeurs » qui ont fait de l’anglais la première langue lue en VO. Mais les rayons en langue originale sont aussi liés au territoire géographique dans lequel ils se situent. Roland Alberto ne vend quasiment que des livres en italien (et un peu en anglais) dans le rayon VO de sa librairie marseillaise L’odeur du temps : « J’ai tenté de proposer des livres en espagnol ou en allemand, mais le public n’a pas été au rendez-vous. À Marseille, la clientèle est plutôt italophone. »
À Toulouse, la proximité géographique avec l’Espagne favorise un marché du livre transfrontalier. Si l'offre hispanophone est donc importante à la librairie Ombres Blanches, les deux libraires du rayon littérature étrangère proposent également des ouvrages en version originale dans une quarantaine de langues, dont le hongrois ou l'albanais. « Nous avons des communautés de ces pays installées dans la ville, et cela fonctionne bien », explique Luka Mery.
Veiller puis importer
Au cœur de ce marché foisonnant, les représentants jouent un rôle-clé. Pourtant, ces derniers se font rares sur le créneau. Pour Sandy Orpy de Gibert Joseph, « une veille constante est indispensable, ce qui représente la plus grande contrainte du travail d’importation. » Emmanuelle Monsallier et Carine Fraszczak, également représentante pour Garzón Diffusion Internationale, rendent visite annuellement à leurs principaux clients et leur proposent régulièrement « des sélections en allemand, anglais, espagnol, italien et portugais en littérature adulte et jeunesse, BD, ainsi que les programmes imposés par les concours de l’Éducation nationale ». Active depuis 30 ans, l’entreprise travaille à la fois l’import de livres VO en France mais aussi l’export de livres français (entre autres langues) en Europe et en Amérique latine tout en étant présente dans différents salons en Europe.
Plusieurs grandes maisons d’édition anglophones, comme Penguin UK, Harper Collins ou Wiley, ont également des représentants en France. Mais ceux-ci restent peu nombreux. Alors, pour pallier ce manque, certains libraires ont dû redoubler d'imagination. Pour placer davantage de livres en VO, Marie Morillon, libraire à Book in Bar, à Aix-en-Provence, a par exemple décidé d'importer elle-même, sans avoir recours à des représentants, les ouvrages « en renfort pour des points de vente qui n’ont besoin que de deux à trois livres en VO. »
Pour accéder à ces livres, d'autres ont préféré s'adosser à des distributeurs tels que OLF ou Side. Pour ses 94 titres en VO, Mathilde Cappannelli de L’antre de Calliopée, aussi à Aix-en-Provence, passe par le premier : « Les commandes arrivent entre dix jours à six semaines en fonction du stock », précise-t-elle.
Libraire et importateur