Pour son troisième roman, L'infini livre (Zoé), Noëlle Revaz bascule dans un monde de science fiction (mais si peu), et imagine deux écrivaines à succès dans une société où le livre n'est plus ouvert, mais devient un prétexte à la promotion médiatique.
Sur des plateaux de télévision, les écrivains, actrices et people échangent sur des sujets divers, avec l'image d'un ouvrage projetée derrière eux.
Extraits.
Et soudain le livre apparaît
"Le livre à son apparition était fêté. Le vernissage était transmis en direct. L'événement avait lieu au musée de la Reliure, dont il fallait gravir les vieux et charmants petits escaliers. Une des salles principales était réservée pour la fête. Elle bourdonnait comme une ruche. La romancière Jenna Fortuni, radieuse, déambulait, un verre de crémant à la main, au centre d'un panel d'amis. Les caméras faisaient des zooms. Elles rendaient compte du succès.
La couverture du livre de Jenna Fortuni était projetée artistement sur les quatre murs. Le livre était aussi présent sur les tables, en centaines d'exemplaires disséminés, parmi les feuilletés du buffet. Les amis et admirateurs venus en nombre le saisissaient dans leurs mains. Ils y laissaient des empreintes qui étaient prestement essuyées par des assistantes engagées en extra."
Les téléspectateurs sont prompts à tout mélanger
"Les romancières n'étaient pas piégées. Jenna estimait que c'était en raison des livres, qui constituaient des manières de paravents. Les acteurs en revanche se trouvaient tout de suite corps et visages en première ligne. Bien sûr, ces derniers temps un ou deux romanciers avaient été piégés. Les confusions étaient inévitables, animateurs et téléspectateurs étant prompts à tout mélanger, et il pouvait se faire qu'un acteur soit pris pour un artiste, un artiste pour un écrivain ou un écrivain pour un spécialiste. Dans le fond ça ne changeait pas grand-chose. Il s'agissait toujours de gens aimables et bien habillés, dont tout le monde connaissait le visage, le nom, la blessure secrète et la destination de vacances préférée."
En page 3 du livre
"Un jeune animateur, particulièrement dépourvu d'expérience, formulait une question : en page 3 du livre, qu'y avait-il exactement ?
Jenna embarrassée baissait les yeux sur ses mains. Il était déjà très gênant de s'entendre mentionner le numéro d'une page. Mais parler de l'intérieur de son livre en sa présence était carrément indécent.
L'animateur était pressant. Heureusement un vieil écrivani au regard brillant, dont la rumeur soupçonnait les livres d'être des cartons, volait au secours de Jenna. Tout sourire, il expliquait que mentionner une page d'un livre ne servait à rien. Il fallait considérer son ensemble. Et, pour sa part, le vieil écrivain trouvait que le livre de la romancière Jenna Fortuni était tout ce qu'il y avait de plus réussi.
Le livre de Jenna, à ce moment idéal, était projeté en arrière-plan. Sa couverture était toujours du plus bel effet, bien que certains acheteurs aient déjà commencé à s'y habituer, comme le faisaient savoir de nombreux messages."
L'animateur-écrivain
"Il était de bon ton pour un animateur de faire apparaître un jour un roman. L'inverse était moins facile : bien peu nombreux les écrivains ayant réussi le passage contre nature et scabreux du siège d'auteur à celui d'animateur de télévision. Mais pour les animateurs, quoi de plus facile : à force de côtoyer des auteurs, ils avaient fini par comprendre que faire des livres n'était rien et que la gloire se gagnait avec un microgramme de mérite.
Les animateurs-écrivains différaient des simples écrivains. Leur métier restait vissé en eux. Ils avaient tendance à monopoliser la parole. En face d'eux, leurs collègues animateurs ne savaient pas comment la reprendre. Ils n'osaient pas se montrer expéditifs comme avec les autres écrivains. Cela donnait des moments étranges : tels animateurs, qui avaient en duo encerclé des générations d'écrivains, se retrouvaient en train de discourir du dernier roman de l'un des deux. Ces échanges finissaient dans les fleurs : les livres des animateurs-écrivains étaient toujours des joyaux."
Sur des plateaux de télévision, les écrivains, actrices et people échangent sur des sujets divers, avec l'image d'un ouvrage projetée derrière eux.
Extraits.
Et soudain le livre apparaît
"Le livre à son apparition était fêté. Le vernissage était transmis en direct. L'événement avait lieu au musée de la Reliure, dont il fallait gravir les vieux et charmants petits escaliers. Une des salles principales était réservée pour la fête. Elle bourdonnait comme une ruche. La romancière Jenna Fortuni, radieuse, déambulait, un verre de crémant à la main, au centre d'un panel d'amis. Les caméras faisaient des zooms. Elles rendaient compte du succès.
La couverture du livre de Jenna Fortuni était projetée artistement sur les quatre murs. Le livre était aussi présent sur les tables, en centaines d'exemplaires disséminés, parmi les feuilletés du buffet. Les amis et admirateurs venus en nombre le saisissaient dans leurs mains. Ils y laissaient des empreintes qui étaient prestement essuyées par des assistantes engagées en extra."
Les téléspectateurs sont prompts à tout mélanger
"Les romancières n'étaient pas piégées. Jenna estimait que c'était en raison des livres, qui constituaient des manières de paravents. Les acteurs en revanche se trouvaient tout de suite corps et visages en première ligne. Bien sûr, ces derniers temps un ou deux romanciers avaient été piégés. Les confusions étaient inévitables, animateurs et téléspectateurs étant prompts à tout mélanger, et il pouvait se faire qu'un acteur soit pris pour un artiste, un artiste pour un écrivain ou un écrivain pour un spécialiste. Dans le fond ça ne changeait pas grand-chose. Il s'agissait toujours de gens aimables et bien habillés, dont tout le monde connaissait le visage, le nom, la blessure secrète et la destination de vacances préférée."
En page 3 du livre
"Un jeune animateur, particulièrement dépourvu d'expérience, formulait une question : en page 3 du livre, qu'y avait-il exactement ?
Jenna embarrassée baissait les yeux sur ses mains. Il était déjà très gênant de s'entendre mentionner le numéro d'une page. Mais parler de l'intérieur de son livre en sa présence était carrément indécent.
L'animateur était pressant. Heureusement un vieil écrivani au regard brillant, dont la rumeur soupçonnait les livres d'être des cartons, volait au secours de Jenna. Tout sourire, il expliquait que mentionner une page d'un livre ne servait à rien. Il fallait considérer son ensemble. Et, pour sa part, le vieil écrivain trouvait que le livre de la romancière Jenna Fortuni était tout ce qu'il y avait de plus réussi.
Le livre de Jenna, à ce moment idéal, était projeté en arrière-plan. Sa couverture était toujours du plus bel effet, bien que certains acheteurs aient déjà commencé à s'y habituer, comme le faisaient savoir de nombreux messages."
L'animateur-écrivain
"Il était de bon ton pour un animateur de faire apparaître un jour un roman. L'inverse était moins facile : bien peu nombreux les écrivains ayant réussi le passage contre nature et scabreux du siège d'auteur à celui d'animateur de télévision. Mais pour les animateurs, quoi de plus facile : à force de côtoyer des auteurs, ils avaient fini par comprendre que faire des livres n'était rien et que la gloire se gagnait avec un microgramme de mérite.
Les animateurs-écrivains différaient des simples écrivains. Leur métier restait vissé en eux. Ils avaient tendance à monopoliser la parole. En face d'eux, leurs collègues animateurs ne savaient pas comment la reprendre. Ils n'osaient pas se montrer expéditifs comme avec les autres écrivains. Cela donnait des moments étranges : tels animateurs, qui avaient en duo encerclé des générations d'écrivains, se retrouvaient en train de discourir du dernier roman de l'un des deux. Ces échanges finissaient dans les fleurs : les livres des animateurs-écrivains étaient toujours des joyaux."
