Djamila Ribeiro, une femme très puissante

Désormais star en son pays, Djamila Ribeiro a grandi dans la ville industrielle et portuaire de Santos, élevée par une femme au foyer qui aura travaillé comme bonne toute sa vie. Son père, docker activiste du mouvement noir, encarté au parti communiste, interdit à ses filles de lisser leurs cheveux crépus et les pousse à faire des études. Elle entre à la fac de journalisme, mais ne trouve à côté qu'un job de femme de ménage... et stoppe ses études lorsqu'elle tombe enceinte. Mais elle les reprendra, en philosophie cette fois, et décrochera son master à 35 ans, malgré les remontrances portées contre la jeune mère.
Elle écrira ses chroniques de féministe noire, sera secrétaire adjointe des droits humains et des citoyennetés à la mairie de São Paulo, éditera des autrices noires brésiliennes, en préfacera d'autres comme Toni Morrison, qu'elle découvre ado lorsqu'elle travaille à la maison des femmes noires. Son Petit manuel antiraciste et féministe (Anacaona, 2020, traduit par Paula Anacaona) est le livre le plus vendu au Brésil en 2020, et a été traduit en plusieurs langues. Son roman autobiographique Ta magie m'a menée jusqu'ici. Lettres à ma grand-mère (Anacaona, 2025) revient sur le féminisme et l'antiracisme dans l'éducation, à travers son parcours et ses souvenirs d'enfance auprès d'une grand-mère guérisseuse. "Mes souvenirs de toi ont un goût de mangue verte et de compotée de potiron, lui écrit-elle. Ils sentent les feijão et le dîner à six heures du soir. Tu sucrais ma bouche et bénissais mon âme. J'adorais passer mes vacances chez toi, où j'étais aimée comme nulle part ailleurs." Attention, les lecteurs les plus sensibles y laisseront quelques larmes.
Marcello Quintanilha, un bédéiste hors cadre

Autodidacte, Marcello Quintanilha a débuté dans le dessin d'épouvante avant de tomber dans le cinéma d'animation et le dessin de presse, notamment pour le magazine SF et fantasy Heavy Metal (Métal Hurlant, en version américaine). Il y a quelque chose d'horrible dans la BD Écoute, jolie Márcia (Éditions çà et là, traduit par Dominique Nédellec), l'histoire d'une mère violentée par sa fille, qui fréquente les trafiquants de drogue et la police corrompue. Un coup de crayon acidulé, bien différent des dessins réalisés pour la série Sept balles pour Oxford (scénarisée par Jorge Zentner et éditée au Lombard). Tungstène, polar croisant la vie d'un dealer brésilien, d'un policier exécrable et d'un ex-militaire névrosé, a été finaliste du Grand Prix de la critique ACBD. Finalement, l'œuvre de cet auteur de 53 ans vivant à Barcelone se caractérise par "une impressionnante variété de styles d'un ouvrage à l'autre, et des partis pris graphiques parfois très surprenants mais toujours justes", commente son actuel éditeur, Serge Ewenczyk. Ça lui a réussi, pour Écoute, jolie Márcia, décrété meilleur album de l'année au festival d'Angoulême 2022. La courageuse Márcia mérite bien ça.
Geovani Martins, un homme à tout bien faire

Il a été homme-sandwich, distributeur de tracts, livreur, et a quelque chose d'un cerf-volant, planant et coloré. Geovani Martins est né en 1991 dans les quartiers ouest de Rio de Janeiro, il y raconte sa violence et les pouvoirs de l'imagination dans ce premier livre, Le Soleil sur ma tête (Gallimard, traduit par Mathieu Dosse), recueil de nouvelles tour à tour amusantes, poétiques, grotesques et tragiques, plombées par l'astre rouge cognant sur les crânes, les ravages de la drogue et la violence, qu'elle soit policière ou dans le sang versé par les gangs des favelas, dans une langue toute aussi dure et crue. Extrait : "Je fumais, l'herbe était fraîche, elle avait un goût sublime, mais la fumée qui en sortait lorsque je tirais dessus était accompagnée d'une telle haine, d'une telle tristesse, d'un tel découragement, que je me suis dit que ça aurait été mieux si ces fils de pute avaient aussi emporté cette putain de beuh." Sale journée.
Eliana Alves Cruz, une mémoire vivante

S'attachant à combler les lacunes de l'histoire, ressuscitant la mémoire de la diaspora noire, ses combats, la journaliste Eliana Alves Cruz, originaire de Rio de Janeiro, fut la seule étudiante afro-brésilienne de son université. Dans son premier roman Água de barrela (éditions Malê), elle s'inspire de son histoire familiale pour raconter l'esclavage africain. Son nouvel ouvrage, Je ne dis rien de toi que je ne vois pas en toi (Tropismes éditions, traduit par Daniel Matias) se déroule dans la ville de Rio au XVIIIe siècle, entremêle fougueusement les thèmes de l'esclavage, de la colonisation, des identités multiples, de la liberté, de l'amour impossible... "Tout chez elle est audacieux", loue son éditrice, Dorothy Aubert. Avec élégance et justesse.
Bernardo Carvalho, un feu transatlantique

« Le journaliste était une machine à doutes », table-t-il dans La dernière joie du monde, grande fable questionnant les fictions que l'on (se) raconte. Bernardo Carvalho l'a été, journaliste, à Paris et New York, pour le quotidien brésilien Fohla de S. Paulo. Un explorateur. « Il voyage à la recherche de la peur, de l'émotion », rapporte son éditrice Anne-Marie Métailié. Des périls qu'il transpose ensuite en roman, où il expérimente des idées, les pousse à leur paroxysme. « Il apporte sur le monde un regard unique, comme tous les grands romanciers, et pose des questions très intéressantes sur nos sociétés », abonde la femme de lettres, remarquant chez lui un physique et un regard « juvéniles ». Né à Rio en 1960, il laisse deviner sa relation avec son père irresponsable dans Les remplaçants (édité par Métailié, traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues, à paraître le 29 août mais sera exceptionnellement disponible pendant les trois jours du festival)... Et notamment cette scène : « L'enfant ne le reconnaissait plus. Soudain il l'entendit hurler. Son père hurlait contre la femme », raconte-t-il. Lui-même a été capable de s'énerver devant la bêtise « de façon spectaculaire », s'amuse son éditrice, qui se souvient d'une rencontre avec un auteur français enfilant les lieux communs tels que « les Brésiliens sont toujours aimables et souriants ». Bernardo se saisit du micro et lance : « Je suis Brésilien, je suis désagréable et je ne souris pas, le Brésil n'est pas un paradis ». L'enfer, est-ce les autres?
Itamar Vieira Junior, un savant de l'imaginaire

Docteur en études ethniques et africaines, Itamar Vieira Junio a travaillé en tant que géographe sur la communauté quilombola, des Afro-Brésiliens descendants d'esclaves devenus paysans sans terre. C'est eux qu'il fait entendre dans son roman Charrue tordue, édité par Laure Leroy (Zulma), pour qui "la fiction rend ces voix vivantes, proches, compréhensibles par le biais de l'imaginaire, de l'empathie". Vendu à plus d'un million de lecteurs (dont l'ex-président Lula), finaliste de l'International Booker Prize, ce premier volet d'un triptyque a été traduit par le romancier Jean-Marie Blas de Roblès, lequel a vécu plusieurs années sur les lieux du roman, une fazenda, un espace agricole étendu, exploité par une famille propriétaire et travaillé par des familles pauvres vivant sur place. Comme l'écrit l'anthropologue-romancier, « les maîtres ne pouvaient plus avoir d'esclaves, à cause de la loi, mais ils avaient besoin d'eux. C'est ainsi qu'ils se sont mis à qualifier les anciens esclaves de "travailleurs" et de "résidents". (...) Ils firent en sorte de rappeler à leurs travailleurs combien ils étaient généreux, car ils accueillaient les Noirs sans abri qui allaient de terre en terre à la recherche d'un lieu où habiter. Combien ils étaient humains, car il n'y avait plus de fouet pour les punir. À quel point ils étaient bons, car ils leur permettaient de cultiver leur propre riz, des haricots, du gombo et des courges. » Quelle ironie ! Mais au conteur de conclure : « Sur terre, je le dis, ceux qui ne se résignent pas sont toujours les plus forts, et ils vivent à jamais. »
Rio, capitale mondiale du livre 2025
Après Strasbourg, c'est Rio de Janeiro qui a décroché le titre de capitale mondiale du livre en 2025 auprès de l'Unesco, organisation « convaincue que les livres et la lecture sont les pierres angulaires de sociétés plus inclusives, apaisées et durables ». Un label qui offre un coup de projecteur à la deuxième ville la plus peuplée du Brésil, tandis que la dernière étude nationale sur la lecture montre que 53 % des Brésiliens ne lisent pas de livres.
Une ville candidate s'engage à promouvoir le livre à travers un programme portant des valeurs éducatives et sociales. Rio prévoit ainsi de créer une plateforme d'écoute de livres audio gratuite dans les bus, et de mettre les bouchées doubles pour sa Bienal do Livro, qui se tiendra du 13 au 22 juin : le salon du livre du pays qui avait attiré 600 000 visiteurs en 2023 se transforme pour 2025 en parc d'attractions littéraire, avec labyrinthes d'histoires et grande roue diffusant des lectures.
Année également durant laquelle nos deux pays organisent des rencontres et actions communes, selon les vœux des présidents Lula et Macron. Traduction d'ouvrages, projections, circulation de résidences d'artistes, d'expositions ou encore de performances entre la France et le Brésil... Le festival Étonnants Voyageurs se délocalisera même outre-Atlantique en novembre. Objectif : réfléchir aux enjeux du climat et de la transition écologique, à la diversité des peuples, à la démocratie et à une mondialisation équitable.