Un couple qui fréquente le festival Étonnants Voyageurs depuis 15 ans résume bien l'événement : ils viennent chercher à Saint-Malo « l’inattendu ». Avoir un coup de cœur pour le lumineux John Vaillant alors qu’ils étaient venus écouter un autre auteur invité sur la même scène. Tomber sur le romancier et bédéiste fantasy-horreur-SF Victor Dixen, en footing sur la plage pour lutter contre le jet-lag depuis les États-Unis où il habite. Dévisager ces promeneurs qui ressemblent à l’écrivain brésilien Bernardo Carvalho ou à l’illustrateur Miles Hyman (oui ce sont bien eux !). Être encore surpris par les goélands dont l’agressivité dépasse cette année les bornes — à l’image du monde décrypté par les écrivains.
La promesse du festival : avoir un casting international avec Macodou Attolodé venu présenter son polar sénégalais Étincelles rebelles (Gallimard), l’écrivaine argentine Agustina Bazterrica sa dystopie féministe et postapocalyptique Les indignes (Flammarion), R. J. Ellory racontant son processus d’écriture (pas de plan) ou encore Djamila Ribeiro son enfance au Brésil... Une bénévole férue de lecture en vient à regretter « de ne pas avoir pu acheter de livre en version originale au salon ».
Hausse de la fréquentation
Le salon, où sont rassemblés des éditeurs en langue française de tous genres, a connu une hausse de fréquentation pour sa deuxième année d’entrée gratuite. Le dimanche midi, ceux de Critic « rechargent les batteries » avant la foule de l’après-midi. Une file s’éternisera pour le concert d’Alvaro Freitas — qui immergera les spectateurs dans les sonorités de la jungle du Brésil, pays mis à l’honneur. « Le festival est victime de son succès », souffle une quadra excédée par l’attente et la brusquerie de bénévoles prenant leur mission de gestion des entrées un peu trop à cœur. Il faut le dire, les festivaliers peuvent se montrer féroces pour avoir leur chaise.

Le festival, à l’équilibre financier pour la première fois depuis 15 ans, a dû réduire çà-et-là la voilure. Avec 40 000 euros de budget en moins (27 000 du département et 13 000 d'un partenaire privé), il a choisi de sacrifier les expositions. Ou de diminuer l’offre, comme à la médiathèque, qui a accueilli moins de rendez-vous… mais autant de spectateurs que l’année dernière, 1 100 personnes. « Donc le taux de remplissage a été meilleur », reformule le directeur des lieux Pierre Gérard-Fouché. Au global, 45 000 visiteurs étaient attendus, et ils ont dépassé la barre des 50 000. Contre 49 400 l’année dernière. Pour un nombre d’invités maintenu à quelque 150 auteurs, comme pour l'édition précédente, contre 250 il y a dix ans (et des festivaliers plus nombreux).

Nouveaux profils, espace, et prix
Si les expositions ont été supprimées, le festival s’est développé sur d'autres points : a été ajouté un chapiteau pour les rencontres jeunesse, et ont été invités des artistes plus grand public comme Riad Sattouf, pour élargir l’audience. Pour compenser la baisse de subventions, la direction a déniché de nouveaux sponsors, comme Brittany Ferries, qui prête ainsi désormais son nom à un nouveau prix littéraire, remis à Michel Moatti pour Darwin, le dernier chapitre (Editions 10/18).



Mathias Enard est lui venu parler de Mélancolies des confins : Nord (Actes Sud), auréolé du prix Joseph Kessel. Une réflexion sur les frontières, géographiques comme intimes. Thème qui revient chez l’enjoué Sylvain Prudhomme, racontant les coulisses de son roman Coyote (Minuit), ces jours de stop à la frontière sud des États-Unis. « Les imaginaires s’y croisent et se heurtent : d’un côté, les Mexicains ont le fantasme de traverser la frontière, s’y baladent en contemplant au loin l’étalage de richesse ; de l’autre, la peur d’une invasion mexicaine ».
Décroître encore ?
Tandis qu’Étonnants Voyageurs a peu à peu aboli les frontières entre les genres, intégrant depuis plusieurs années la jeunesse ou encore la BD. Même si la concurrence d’autres festivals conduit par exemple les littératures de l’imaginaire à privilégier Comédie du livre, « et Étonnants voyageurs à se recentrer sur la littérature générale », observe l’éditeur des Forges de Vulcain David Meulemans.
Quant à la BD, elle a été concurrencée ce même week-end par un festival picard, Les Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens. Dommage : renouveler encore le public aurait peut-être dilué les égos des habitués qui prennent trop leurs aises. On se demande comment les festivaliers, plus nombreux il y a dix ans, cohabitaient. À l'avenir, les organisateurs se verraient bien obligés de mettre en place des réservations, ou bien l’on dira qu’Étonnants Voyageurs a atteint sa taille limite.
Les prix remis au festival Étonnants Voyageurs 2025