« Je ne suis pas exactement un étranger ici. Encore moins un journaliste français lambda en reportage », confie d'emblée Alexandre Lévy, le rédacteur en chef du magazine Books et collaborateur du quotidien suisse Le Temps. « Ici », c'est la Bulgarie où il est né, et plus précisément, la région du sud-est, la Strandja, frontalière de la Turquie, un massif de moyenne montagne parallèle aux côtes de la mer Noire. La Strandja, avec son parc naturel, est devenue ces dernières années un point de passage alternatif pour accéder clandestinement à l'Union européenne, une porte d'entrée pour les migrants venus de Syrie ou d'Afghanistan « plus discrète, moins chère (et surtout plus sûre) ». Entre 1985 et 1989, adolescent, Alexandre Lévy a habité avec ses parents dans une cité HLM de Plovdiv, la deuxième ville du pays qu'il a quittée après avoir été incorporé en octobre 1988 pour quelques mois de service militaire dans une caserne de la Strandja, située dans ce « fameux triangle de la mort de l'armée bulgare » où le pacte de Varsovie et l'Alliance atlantique se faisaient face pendant la guerre froide. A l'époque, cette frontière empêchait les habitants du bloc communiste de sortir. Aujourd'hui, par une inversion tragiquement ironique, elle défend aux étrangers d'entrer. L'ancien Rideau de fer est devenu une triple clôture de barbelés « hautement sécurisée », qui court le long de ces 274 kilomètres de frontière. Alexandre Lévy revisite les paradoxes de l'histoire récente du pays de sa jeunesse, à travers ce récit qui tient à la fois du carnet de voyage et du journal. Ses deux guides inspirateurs sont des amis journalistes, fondateurs d'un site d'investigation. Au gré du parcours, on croisera « le cannibale de la Strandja », « le play-boy de Bourgas » dont la légende prétend qu'il a couché avec la jeune Angela Merkel, une Ethiopienne mariée à un Anglais, des miliciens « chasseurs de migrants » instruits par des Russes, des gardes-frontières polonais du Frontex, l'agence européenne « venue prêter main-forte aux Bulgares face à l'afflux de migrants », des témoins de l'exode forcé des Turcs de Bulgarie à l'été 1989. La bande-son de ce road-trip intime et géopolitique : le hard rock des années 1970, « arrivé ici avec une grosse dizaine d'années de retard ». La musique de la génération qui avait 20 ans quand le mur de Berlin est tombé.
Carnets de la Strandja : d’un mur l’autre 1989-2019
Buchet-Chastel
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19 euros ; 264 p.
ISBN: 9782283032909