Dai Sijie se fait rare, mais son nom reste associé à Balzac et la petite tailleuse chinoise (Gallimard, 2000) ou au prix Femina, Le complexe de Di (Gallimard, 2003). Chaque roman est ciselé comme un travail d'orfèvre. Lui, qui vit en Chine, reste habité par cette terre qui a connu une histoire mouvementée. L'écrivain et sa famille en ont été affectés. Ici, il mêle habilement le récit de son grand-père surprenant à son imaginaire intense. « L'histoire, c'était pour lui le contraire de la réalité. Elle était si pleine de dramaturgie qu'elle ressemblait plutôt à une fiction. » On y plonge avec passion en Chine, au début du siècle dernier. Les collines de Putian abritent de belles personnalités. Parmi elles, Yong Sheng, le fils d'un artisan légendaire, connu pour ses sifflets à colombe. Sa particularité ? Il n'a qu'un seul testicule. Le jour de sa naissance, en 1911, on plante un aguilaire en son honneur. Ils grandiront ensemble.
Le héros n'a que 14 ans, quand il est marié à Helig, afin de contrer la maladie de sa grand-mère. L'amour tourne court, mais il lui offre le plus beau des cadeaux, une petite Helai. Le vrai tournant de sa vie se situe toutefois dans sa rencontre avec un évangéliste américain, quand il était enfant. Il accueille Yong Sheng dans sa famille et lui présente sa fille Mary, au courage si aventureux. Ainsi surgit la vocation de celui qui devient officiellement l'un des premiers pasteurs chinois, en 1935. Ce choix lui coûtera très cher, lors de « la grande Révolution culturelle », mais « rien ne pouvait changer la nature profonde d'un homme ». Ni les révolutions, ni les guerres, ni les trahisons.
L'écriture de Dai Sijie semble épouser le lyrisme d'une harpe. Chez lui, la lune a l'allure « d'un cheval débridé qui galopait à reculons ». On sent la touche imagée du spécialiste de l'histoire de l'art ou du cinéaste poétique. Cet univers se situe entre Gabriel García Márquez et le Nobel Mo Yan. Le tout entrecoupé de passages bibliques, de moments magiques et de pensées politiques. On s'invite avec délectation dans les existences de ces personnages si sincères, si attachants et parfois déstabilisants. Qu'est-on prêt à faire pour sauver sa peau ou sa dignité ? Quelles sont les limites de la liberté intérieure ? « Ce qui, après une catastrophe, est sauvé d'une épave devient la plus belle chose du monde. »
L’Evangile selon Yong Sheng
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 22 euros ; 448 p.
ISBN: 9782072836381