Phénomène éditorial en Asie et au-delà, le boys' love, ce concentré de romance et d'érotisme racontant des histoires de couples homosexuels à destination d'un lectorat féminin, se heurte au zèle croissant de la police chinoise.
Le plus souvent, ce sont des femmes hétérosexuelles qui tiennent la plume et ces derniers mois, des dizaines d'entre elles publiant notamment sur le site taïwanais Haitang Literature City ont raconté avoir été interpellées et accusées de tomber sous le coup de la loi.
Stéréotypes bousculés
Les romances boys' love, ou BL pour les initiés, sont un rare espace d'expression pour les personnes LGBT+ et les idées féministes. Ces récits bousculent les stéréotypes sur les rôles des hommes et des femmes, explique à l'AFP Miu Miu, une autrice de 22 ans qui écrit sous pseudonyme. « C'est une manière de résister à la domination masculine », affirme-t-elle.
La dernière vague de répression, menée par la police de Lanzhou (nord-ouest), a ciblé principalement des autrices non-professionnelles qui gagnent très peu d'argent, quand elles en gagnent, avec leurs écrits.
La Chine interdit de tirer profit de la « diffusion de contenus obscènes ». Les cas « graves » peuvent être punis de dix ans de prison. Cette loi s'applique quand une publication dépasse les 10 000 vues ou quand elle rapporte plus de 50 000 yuans (5 965 euros).
En théorie, la loi prévoit une exception pour les œuvres artistiques. Mais en pratique, la police est généralement libre de décider où elle l'applique. « Les critères sont obsolètes », dénonce l'avocat d'une des autrices poursuivies, qui a requis l'anonymat. « La société chinoise n'a plus le même rapport au sexe qu'il y a 30 ou 40 ans. »
« Ils vont vraiment me condamner à trois ou cinq ans de prison ? Ils savent ce que ça représente, trois ou cinq ans dans une vie ? », s'inquiète une autrice sur le réseau social Weibo. Menacée par la police, elle affirme n'avoir gagné que 2 000 yuans (environ 238 euros) pour deux livres consultés 100 000 fois.
Censure sans frontière
Cette vague de répression ravive les critiques sur les pratiques de certains policiers chinois, accusés d'aller à la pêche au suspect bien au-delà de leur zone de juridiction, parfois à des milliers de kilomètres. « La police estime que ce genre de choses peut lui rapporter de l'argent », explique Liang Ge, maître de conférences à l'University College de Londres.
Un officier de Lanzhou, au nord-ouest du pays, a ainsi parcouru 2 000 kilomètres pour interroger une autrice résidant sur la côte est. Remise en liberté provisoire, elle risque une peine de prison et une amende, ce qui la rendrait inéligible aux concours de la fonction publique ou à certains postes dans l'éducation et la santé.
Une autre autrice âgée de 20 ans, qui avait gagné environ 21 000 yuans (2 497 euros), a dû parcourir des milliers de kilomètres pour se rendre de Chongqing (sud-ouest) jusqu'à Lanzhou. À son arrivée, les policiers lui ont demandé de « rendre les revenus illégaux » afin d'espérer voir sa peine réduite. « Ces méthodes sont profondément malsaines », dénonce son avocat, ajoutant que le gouvernement chinois a émis plusieurs directives contre ces pratiques.
« Réveil collectif »
Pour les militants, ces arrestations s'inscrivent dans un mouvement plus large de répression de l'expression publique du mouvement LGBT+, qui s'est accentuée sous le règne de Xi Jinping.
L'homosexualité a été dépénalisée en Chine en 1997, mais les discriminations restent fortes, et le mariage entre personnes du même sexe toujours illégal. Le genre boys’ love, qui trouve son origine dans des mangas japonais publiés dans les années 1960 et dont la popularité a explosé, a également été rapidement censuré. Les séries télévisées adaptées de ces fictions ont effacé toute allusion aux relations homosexuelles, les amants étant transformés en simples « amis ».
En 2018, une autrice surnommée Tianyi a écopé de plus de dix ans de prison pour avoir gagné l'équivalent d'environ 18 000 euros avec un roman homo-érotique mettant en scène un professeur et son élève.
Beaucoup de Chinois « ont le sentiment que l'espace pour s'exprimer librement s'est réduit », juge Liang Ge. « Il ne s'agit plus de poster quelque chose sur un réseau social, mais cela touche désormais à ce qu'on lit, seul, chez soi, dans sa vie privée ».
Après que des messages d'alerte ont circulé sur les réseaux sociaux, de nombreux utilisateurs ont supprimé à la hâte leur compte sur Haitang. L'autrice Miu Miu, elle, n'a pas totalement renoncé à l'idée de terminer ses récits, même si elle reconnait que cela relève désormais presque du « fantasme ». « L'éducation sexuelle est devenue tabou », explique-t-elle. Mais ce mouvement « est peut-être aussi le signe d'un réveil collectif ».