La vie derrière soi. Le dessin de Tous derrière et eux devant est proche de l'art brut, rudimentaire, avec des perspectives approximatives et des personnages à peine plus détaillés que celui de La Linea. Mais ce trait fragile, instable, à la fois enfantin et particulièrement expressif, sied parfaitement à l'histoire racontée par Thomas Brosset dans ce premier album autobiographique. Tous derrière et eux devant commence par le récit d'une enfance agréable dans les années 1970 avec des parents aimants. Pierrette, disponible et protectrice, et Bernard, plus effacé, sont prêts à tout pour le bonheur de leur fils unique. Mais rapidement, l'auteur nous ramène au présent. Devenu père de deux filles, Thomas rend visite à ses parents. Ils vivent encore de beaux moments tous ensemble mais les choses se dégradent. Pierrette, qui n'a rien perdu de son caractère, s'occupe de son mari dont la santé décline. Elle-même n'est toutefois plus au mieux de sa forme, présentant quelques signes de troubles cognitifs. Puis tout se complique, Bernard meurt, les symptômes d'une maladie neurodégénérative chez Pierrette s'aggravent. N'habitant pas sur place, Thomas doit mettre toute une organisation en place pour l'aider et la surveiller car elle ne veut pas aller en maison de retraite. Perte des repères spatiaux, grande confusion, oublis, irascibilité... Sa mère n'est plus celle qu'il a connue, et les anecdotes tristes, dures, parfois aussi tragicomiques, se succèdent. Thomas Brosset n'hésite pas à témoigner de son désespoir face à la décrépitude de sa mère et à son impuissance à l'aider - il fantasme qu'il la tue, qu'il devient « enfin libre ». Le récit, poignant, est entrecoupé de pages dans lesquelles l'auteur se remémore avec humour et tendresse son enfance, et raconte de joyeux souvenirs de camping, d'équitation, de films de Louis de Funès et de lectures de Tintin. Prenant parfois la voix du gamin qu'il était alors, il mêle aux cases dessinées des photos de cette heureuse époque. En parallèle, il évoque sa complicité avec ses filles, rappelant celle qui l'unissait à ses parents.

Au-delà de la description très réaliste des effets de la maladie, Thomas Brosset saisit avec une incroyable justesse ces moments où l'amour filial le dispute au découragement, à la colère, à la culpabilité aussi. Les bandes dessinées sur la maladie, les malades et les aidants sont nombreuses, mais rares sont celles qui savent appréhender le sujet comme celle-ci, avec autant de finesse, de pertinence, sans cliché ni pathos. Avec son dessin atypique et sa narration limpide, Thomas Brosset a trouvé une manière magnifique de raconter son histoire, de faire le deuil de son passé et de ses parents, et de leur rendre un hommage digne de l'amour qu'ils lui portaient.