Femmes en Islam. En 2016, en réponse à une chronique de Kamel Daoud qui pointait les responsabilités de l'Islam après les agressions sexuelles à Cologne, une tribune dont Jocelyne Dakhlia était signataire proposait d'en finir avec « les clichés orientalistes les plus éculés » et de regarder ailleurs, sans préciser où. Huit ans plus tard, c'est désormais chose faite, avec ce colossal travail d'érudition publié par Anacharsis, une maison ambitieuse et dynamique dans le domaine des sciences humaines. À travers l'exemple marocain mais pas seulement, l'historienne franco-tunisienne examine deux marqueurs du rapport aux femmes de la culture islamique et leurs diverses représentations : la sexualité (le harem) et la brutalité patriarcale (le sultan).
En trois volumes, en trois temps (les gynécées, les sérails et les harems) et deux mille pages, la directrice d'études à l'EHESS déroule chronologiquement les faits, les textes et les documents à travers le cas du Maroc du XIVe au XXe siècle. On y voit, par exemple, les fantasmes occidentaux projetés sur le harem, visions que l'on retrouve dans la peinture orientaliste du XIXe siècle avec le sérail stupéfiant du sultan. Ce sont des décors, des scènes inventées, mais pas uniquement, l'imaginaire ayant sa part dans la construction de la réalité. Les quelque trois cents illustrations révèlent « un monde fluide, contradictoire et dynamique, où les attendus intuitifs de nos regards envers l'Islam se voient systématiquement déroutés ».
Déconstruire, casser les clichés, retrouver le sens de l'histoire aide à examiner les deux stéréotypes majeurs de la société islamique et leur cristallisation à travers les siècles. Mais « réfuter l'anthropologisation constante des sociétés islamiques » n'évacue pas la question lancinante de l'oppression. La violence du pouvoir religieux − on le constate par le lourd tribut payé par Mahsa Amini et les femmes en Iran - a contribué à installer une image féminine certes victimaire, mais bien véridique. Il s'agit là aussi d'un document pris en considération par l'historienne dans son approche critique. D'autres sociétés ont opprimé les femmes, mais Harems et sultans permet de comprendre pourquoi la focale s'est resserrée sur l'aire islamique.
Derrière l'imposant travail scientifique, il y a une intention : dessiller notre regard sur l'Islam sans faire fi de la question lancinante de la violence derrière le despotisme et la sexualité. En Afghanistan, les talibans ont créé un ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice qui cible les femmes déjà invisibilisées en leur interdisant désormais le maquillage, le chant et la lecture de poésie à haute voix. Il a dû se passer quelque chose depuis le XIVe siècle et cette magistrale étude révèle tout ce qui a été perdu pour les femmes. En tout cas, les débats qui ne manqueront pas d'avoir lieu sur ce sujet sensible ne pourront désormais se dérouler sans se référer à ce regard nouveau.
Harems et sultans. Genre et despotisme au Maroc et ailleurs, XIV-XXe siècle
Anacharsis
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 70 € jusqu’au 1er décembre puis 95 € ; Trois vol. t. 1 704 p. ; t. 2 704 p. ; t. 3 672 p.
ISBN: 9791027904778