Les beaux et les damnés. Il y eut un temps, aux alentours des années 1980, où les belles âmes n'eurent rien de plus pressé que d'explorer les plus sombres d'entre elles, les plus compromises pendant les années d'occupation d'une guerre dont le souvenir ne se contentait plus de la mythologie victorieuse de la Résistance. Les écrivains réprouvés réapparurent dans toute leur lumière profondément noire, loués par les enfants de ceux-là mêmes qu'ils vouaient à des degrés divers aux gémonies. Libération redécouvrait Cocteau, Jean-François Fogel Morand, le président de la République d'alors, fin lettré, prenait la tête du fan-club Chardonne, tandis qu'une petite musique se faisait entendre comme quoi « Brasillach, tout de même, il y a des choses »... Dans ce concert qui s'ignorait volontiers révisionniste, une voix dissidente tout de même : celle de Jérôme Garcin, entreprenant de réhabiliter la haute figure et l'œuvre d'un Jean Prévost, romancier trop oublié et résistant tombé au champ d'honneur, qui n'eut, lui, comme seul tort que de s'être tenu du bon côté de l'Histoire... Peut-être était-il encore trop tôt pour cette entreprise tant le livre de Garcin n'eut pas l'écho qu'il aurait à tout point de vue mérité.
C'est sur cette curieuse fascination française pour les damnés en même temps que son aveuglement à trier le bon grain littéraire de l'ivraie politique que Garcin revient aujourd'hui dans ce court et vivifiant essai, Des mots et des actes, où la clarté de l'expression le dispute à celle de la pensée autant qu'à l'érudition. Les noms précédemment cités y tiennent le haut du pavé, auxquels il convient d'ajouter ceux de Céline bien sûr (de Sigmaringen à Meudon), de Bernard Grasset, de Ramon Fernandez et pour ceux qui ne faillirent pas, de Mauriac, de Paulhan, de Jacques Decour ou de cet ange laïque et aveugle que fut Jacques Lusseyran (auquel Garcin a déjà consacré un livre, Le voyant, Gallimard, 2015). C'est un plaisir de gourmet que de voir celui qui est sans conteste l'un de nos plus fins lecteurs rappeler quelques vérités premières trop souvent tues. Par exemple que si on enlève à Brasillach sa tenue de « martyr » d'une cause honteuse, il ne reste pas grand-chose, notamment pas un écrivain... En ces temps de petits marquis réactionnaires, ce peut être bon à prendre. Pour le reste, Garcin est passionnant et juste. As usual.
Des mots et des actes. Les Belles-Lettres sous l'Occupation
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 18,50 € ; 176 p.
ISBN: 9782073058270