Qui a déplumé qui ? Dans son nouveau recueil de poésie, James Noël déploie la figure du paon, « un oiseau-racine. Une présence au monde qui remonte aux origines ». Dédicacé à la ville de Port-au-Prince, « douloureuse capitale qui semble rêver, elle aussi, de quitter le pays », Paons est une traversée en six temps de l'île d'Haïti puis de plusieurs villes du globe. Les poèmes introductifs et les trois premières parties, « Nigredo », « Ouroboros » et « Troubadours de l'univers », explorent le pays d'où James Noël est originaire et dressent le constat d'un territoire et d'un peuple meurtris, d'une zone de chaos où règnent les souffrances et les peurs, d'un endroit habité par toutes sortes de fantômes, ceux des victimes des catastrophes climatiques et de la violence des gangs, comme ceux des institutions disparues. C'est à « ces millions d'âmes debout, résistant malgré la pente surréaliste » que James Noël rend hommage dans ce recueil, ainsi qu'à ses amis poètes et poétesses disparus.
Celle qu'il appelle « l'exil doré des allumettes / la tombe vivante des certitudes » - et qui faisait déjà l'objet de son roman Belle merveille (Zulma, 2017) et d'un précédent recueil de poèmes, Le pyromane adolescent (Points, 2015) -, Haïti, apparaît ici sous les traits sombres d'un territoire de guerre perpétuelle où réalité, folie, cruauté et absurde ne font qu'un et où l'espoir peine à poindre. « La messe est dite / dans cette ville entre parenthèses et / d'apartheid / la messe est dite / parce qu'un jeune gars s'ennuyait grave / sur sa moto / ne sachant où aller / il t'envoie balader toi / Pan pan pan / te voilà déplumée. »
En déclinant le motif du paon, James Noël parvient à présenter différentes réalités vécues sur l'île. Parfois les paons désignent les Haïtiens eux-mêmes : « Nous sommes des oiseaux / chassés du paradis qui nous collait à la peau / des paons déplumés / chialant en couleur pour toutes ces nuances / perdues. » Parfois ils singent le masque des hommes de pouvoir, ce « peuple d'astronautes / [qui] se prépare à piller le dernier reliquat de / lumière / [...] prêts à chier sur la Lune / faire la roue dans le cosmos ». Dans la partie « Villes et autres bêtes », le poète se déplace à Cotonou, à Paris, à Venise, et repense au séisme de 2010 à Port-au-Prince, devenue aujourd'hui « cette ville tatouée de balles / gangrenée de gangs / de fossoyeurs d'étoiles / rapides au grand gâchis de la gâchette ».
Parmi les dernières plumes de ce recueil, la partie « Pandemonium » (la capitale imaginaire de l'Enfer) est un poème-dessin surréaliste qui semble inspiré du cadavre exquis, jouant avec la typographie, les sigles et les tailles de police, avec les effets visuels que les mots peuvent créer sur les pages d'un livre. Comme le déploiement d'une roue de paon, ce dernier poème est un collage de pensées, de personnages, d'associations d'idées qui jaillissent de façon éclatée et qui promettent : « On mourra autant de fois que nécessaire jusqu'à ce que VIE s'ensuive. »
Paons
Au diable Vauvert
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 19 € ; 256 p.
ISBN: 9791030707748
