Affaire d'équilibre, voire d'équilibrisme, l'activité de diffuseur-distributeur suppose la capacité de s'adapter au plus près aux fluctuations des ventes en librairie. La période Covid et post-Covid l'a bien montré : extraordinairement résilient, le livre a réalisé ses meilleures performances en 2021 et 2022, enregistrant des croissances record dans quasiment tous les secteurs avant que 2023, année marquée par un retour à la normale des niveaux de vente, ne siffle la fin de la récréation.
Ces exercices successifs en montagnes russes ont mis à rude épreuve la filière. Fin 2021, MDS en particulier avait sévèrement tangué pour n'avoir pas su absorber suffisamment vite les 70 % de croissance de son activité. Aujourd'hui, la filiale de diffusion-distribution de Média-Participations va mieux. Elle a trouvé son rythme de croisière et continue de moderniser ses sites franciliens de Dourdan et Ballainvilliers. Elle est d'ailleurs loin d'être la seule : depuis plus de deux ans, tous les grands diffuseurs-distributeurs (Hachette Distribution, Interforum, Madrigall, MDS...) ont engagé la refonte ou la transformation de leur appareil logistique et commercial dans des plans d'investissement à plusieurs millions d'euros. L'objectif est de traiter plus vite de plus grandes quantités de livres.
Sauf que la donne est en train de changer. Emblématique de ces vagues d'investissement, Hachette Distribution prévoyait, du moins jusque début janvier, d'ouvrir en 2026 un nouveau site logistique bourré de technologies à Germainville (Eure-et-Loire). Cette opération à 150 millions d'euros (selon Les Échos), destinée à remplacer le site historique de Maurepas (Yvelines), devait offrir au numéro 1 français de l'édition « l'infrastructure nécessaire aux 25 prochaines années », nous expliquait fin 2022 Philippe Lamotte, directeur de la branche service et opérations. Il n'en sera finalement rien : le 12 janvier, le nouveau P-DG d'Hachette Livre Arnaud Lagardère, nommé à la suite du rachat du groupe par Vivendi, annonçait à la surprise générale l'abandon pur et simple du projet de déménagement. Le ralentissement du marché en 2023 a-t-il poussé le groupe à considérer le site de Germainville comme étant soudainement surdimensionné au regard des performances commerciales à venir ? Interrogé par Livres Hebdo, Hachette Livre justifie simplement son choix par le souci d'éviter les « dérapages financiers du projet ». Le groupe n'a pas précisé si le site de Maurepas sera finalement maintenu. L'ancienne direction, qui le jugeait obsolète, avait prévu de le fermer en 2027.
La décision d'Hachette Livre représente quoi qu'il en soit un signal fort à l'heure où les voyants sont au rouge pour le livre. Certes, le chiffre d'affaires de la librairie au terme de l'année qui vient de s'achever reste très supérieur à son niveau d'avant-crise- il est en progression de 9,2 % par rapport à 2019 selon le Syndicat de la librairie française (SLF). Mais en réalité, les ventes d'ouvrages ont reculé de 2 % en volume en 2023, les libraires ne maintenant leur chiffre d'affaires que grâce à la revalorisation des prix de vente (+3,5 % en moyenne selon le SLF). Dans ce contexte, les diffuseurs-distributeurs ont un rôle primordial à jouer. Notre enquête montre à quel point le savoir-faire des représentants est précieux : pour ne pas fragiliser davantage les libraires, il leur appartient d'ajuster les ventes au plus près et de limiter les retours en tenant compte des capacités réelles d'absorption du marché. À l'autre bout de la chaîne, la logistique, bientôt soutenue par les données de vente en temps réel du booktracking, s'efforce de tirer au plus juste. Mené en concertation avec les libraires et les éditeurs, ce travail de dentelle est le seul moyen d'assurer sur le long terme la pérennité de la filière du livre.