Décédé le 8 mai des suites d’une longue maladie, Hervé de La Martinière, fondateur en 1992 des éditions qui portent son nom, laisse l’image d’un autodidacte qui a réussi loin des cercles parisiens et qui, pour cette raison, sera toujours resté en marge du monde de l’édition.
Mais ce fils d’un directeur d’usine de plastique à Courbevoie fut aussi un homme aux fidélités et aux amitiés indéfectibles, doublé d’un entrepreneur hors-pair dont l’ambition aboutit à la naissance de l’un des principaux groupes d’édition français, La Martinière Groupe, aujourd’hui intégré à Médias-Participations.
L’énorme succès de La Terre vue du ciel
Joint par Livres Hebdo et très ému, Yann Arthus-Bertrand a évoqué le souvenir d’un grand éditeur, « amoureux de l’odeur des livres », avec qui il entretenait depuis plusieurs décennies une relation d’amitié et de confiance. Souffrant de la maladie de Parkinson depuis plusieurs années, Hervé de La Martinière s’est éteint « dans son sommeil, dans les bras de son épouse Béatrice », a confié le photographe dont le premier livre Lions fut publié en 1981 sous la marque Hachette Réalité où travaillait alors Hervé de La Martinière. « Nos familles sont très liées, je suis le parrain de l’un de ses fils », poursuit Yann Arthus-Bertrand.
La collaboration entre les deux hommes, avec la complicité de Benoît Nacci à la direction artistique, s’est traduite par la publication d’une trentaine d’ouvrages chez divers éditeurs, dont celle, en 1999, de l’énorme succès de La Terre vue du ciel aux éditions La Martinière.
« Quand je me suis lancé dans La Terre vue du ciel et alors que j’avais hypothéqué ma maison pour financer ce projet, Hervé m’a dit : "Yann, on va publier le livre que tu veux, le format que tu veux, le prix que tu veux". Il y croyait beaucoup et m’a annoncé qu’il souhaitait réaliser un premier tirage de 35 000 exemplaires. Au départ nous n’avions même pas signé de contrat. Quand il a été question de revoir ce tirage à la baisse parce que personne ne croyait au succès de ce livre, il m’a demandé si je l’autorisais à baisser le prix. » Best-seller absolu de la maison et vendu dans le monde entier, l’ouvrage s’écoulera finalement à quelque 3,5 millions d’exemplaires, faisant la fortune de son auteur, mais aussi celle d’Hervé de La Martinière : c’est grâce aux ventes de La Terre vue du ciel que l’éditeur pourra financer l’achat des éditions du Seuil et de ses maisons associées en 2004.
« Choc des cultures »
Une acquisition qui lui apporte une nouvelle dimension doublée d’un « choc des cultures ». « Le Seuil était jusqu’alors indépendant et très fier de son catalogue bâti dans une logique de long terme. Hervé de La Martinière était davantage dans une approche commerciale et plus court-termiste », se remémore pour Livres Hebdo Olivier Bétourné, qui présida le Seuil de 2010 à 2018. De ces huit années de « compagnonnage », Olivier Bétourné conserve le souvenir de relations « à la fois cordiales et musclées ». « Le Seuil a toujours eu une vocation d’investissement sur le long terme, c’était une occasion de tension, de discussion avec l’actionnaire. Mais nous l’avons toujours vécu dans un esprit de compréhension mutuelle », poursuit l’ancien dirigeant, avant de conclure : « Je salue la mémoire d’Hervé de La Martinière, son engagement, nos combats partagés, ainsi que nos mouvements de contradiction plus vive. »
Fondatrice des éditions qui portent son nom, Anne-Marie Métailié, a connu Hervé de La Martinière en 2004 au moment du rachat du Seuil. Via La Martinière Groupe, Le Seuil a pris une participation majoritaire dans sa maison dix ans plus tard, en 2014. « Après l’avoir regardé avec méfiance au début, nos relations étaient devenues cordiales, nous confie l’éditrice. Hervé de La Martinière était attentif aux problématiques des maisons du groupe qu’il avait rachetées, j’ai été heureuse dans sa structure. » Les deux éditeurs, qui avaient en commun d'être nés tous les deux un 1er février, s'appelaient chaque année pour leur anniversaire.
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En 2017, la reprise de La Martinière par Média-Participations avait donné naissance au 3e groupe d’édition français, avec 702,7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, derrière Editis (751 millions d’euros) et Hachette Livre (2,8 milliards d’euros).
Hervé de La Martinière, devenu vice-président du groupe, a continué à s’impliquer dans la réussite du nouvel ensemble. « Depuis plus de 7 ans, il a été un partenaire efficace et exigeant, d’une loyauté absolue. La réussite de notre groupe lui doit beaucoup. C’était un éditeur talentueux et un entrepreneur audacieux », a déclaré dans un communiqué Vincent Montagne, président du groupe Média-Participations.
Marie Leroy, à qui Hervé de La Martinière avait confié la création d’un département de littérature en 2014, témoigne de son « infinie tristesse ». « Il avait le goût du risque et le respect de la littérature », nous confie-t-elle. Entrée au Seuil en 2004, une semaine avant le rachat par La Martinière, l’éditrice s’était vu confier le développement de la filiale Points dès 2006 aux côtés de la directrice Emmanuelle Vial. « Hervé de La Martinière m’a toujours accompagnée avec confiance et exigence, se souvient-elle. Et il n’attendait pas qu’un livre soit adoubé par le public pour faire part de son enthousiasme. En 2019 par exemple, il était sûr que le premier roman de Sofia Aouine, Rhapsodie des oubliés, ferait parler de lui. Six mois plus tard, l’autrice passait à La Grande Librairie et recevait le prix de Flore. »
« Je garderai le souvenir d’un grand patron éditeur, passionné par le métier, capable de faire des "coups" spectaculaires, mais aussi de vous recommander, au détour d’une phrase, un roman littéraire, a pour sa part indiqué Emmanuelle Vial, également jointe par Livres Hebdo. Un homme à la fois pragmatique et intuitif, discret et courageux, qui savait faire confiance et aimait rire. Pour moi, il incarne une forme d’élégance morale, malgré la complexité de sa personnalité, toujours mystérieuse. Je lui dois beaucoup ».
Embauchée en 2005 pour s'occuper de Points, Emmanuelle Vial a quitté Le Seuil en 2012 mais est restée en contact avec Hervé de La Martinière jusqu'à la fin.
Un sens aigu des affaires
Plusieurs personnalités du monde de la culture et de l’édition ont aussi rendu hommage au disparu. « Avec la disparition d’Hervé de la Martinière, l’édition perd une figure devenue incontournable. Ami fidèle des auteurs qu’il défendait sans relâche, il a porté la défense de son métier avec l’esprit d’entreprise qui le caractérisait. Profondément attaché à la liberté de création et à la diversité culturelle, il n’avait eu de cesse d’élargir le champ de l’édition », a salué la ministre de la Culture Rachida Dati sur X.
Directrice générale de Fayard, Lise Boëll a salué le leadership de l’éditeur. « Hervé de La Martinière ne se contentait pas de diriger ; il inspirait », écrit-elle sur sa page LinkedIn. « Sa vision stratégique et son sens aigu des affaires ont propulsé l'édition vers de nouveaux horizons, tout en restant fidèle à l'essence même de notre métier : faire découvrir et partager des histoires », ajoute-t-elle.
« Un entrepreneur et surtout un homme de cœur »
Ses anciens collaborateurs l’ont également remercié. « Hervé était un grand éditeur, un entrepreneur et surtout un homme de cœur », a écrit sur LinkedIn Jean-Baptiste Dufour, directeur de la diffusion et directeur commercial des éditions Ellipses qui fut embauché comme directeur export de Volumen par Hervé de La Martinière. « Les années suivantes ont été les plus belles de ma vie professionnelle », lui rend-il hommage, saluant aussi un homme qui « savait faire confiance et était toujours à l'écoute. »
C’est aussi par un message publié sur le réseau social professionnel que le directeur commercial d’Harmonia Mundi Livre, Matthieu Raynaud, qui a passé plusieurs années au Seuil, a fait part de son « profond respect pour cet entrepreneur passionné. » « Inspirant, il fait partie de ces rares personnes qui ont contribué à façonner mon parcours professionnel. En me faisant confiance à tous égards, Hervé était toujours présent pour échanger et m'aider chaque fois qu'il le pouvait. Il y a encore quelques mois d’ailleurs… », écrit-il.