Economiste de l’école (ultra conservatrice) de Chicago, prix Nobel, Becker fut un innovateur en économie. Il ouvrit à la science économique des domaines réservés de la sociologie : analyse économique de la famille, du goût et même des passions réputées irrationnelles.
Avec George Stigler qui lui aussi sera lauréat du prix Nobel, il a tenté de rendre compte des déterminants de la demande des biens dont la consommation est cumulative ; parmi ces biens certains sont bénéfiques, comme les biens culturels, d’autres au contraire sont malsains, comme la drogue ou l’alcool ; mais, dans chaque cas, la consommation, au lieu d’engendrer une saturation progressive, crée une accoutumance.
Dans sans doute le seul article d’économie qui se sera offert le luxe d’un titre en latin, De gustibus non est disputandum, Becker et Stigler renversent le raisonnement habituel qui fait du consommateur un individu passif qui optimise ses choix par la consommation d’un panier de biens ou de services à la fois utiles, agréables et le moins coûteux possible. Le consommateur produit désormais son utilité en combinant différentes ressources faites de "capital humain", de temps et d’argent, à l’instar d’un entrepreneur qui fabrique un bien à partir d’une certaine combinaison de travail et de capital. Plus il consomme, et plus il acquiert de plaisir pour un même coût. Plus il écoute de la musique, plus il lit, va au théâtre, plus il apprend à sélectionner ses consommations et à en tirer quelque bonheur.
Quant au non-usager, la sociologie montre à quel point l’absence de fréquentation de la culture cultivée va de pair avec l’absence du sentiment du manque. Becker construisit des fonctions de consommation culturelle dans lesquelles les variables déterminantes sont l’expérience, le capital personnel défini comme l’ensemble des consommations passées et autres expériences susceptibles d’affecter le plaisir de consommer, et le capital social, qui rassemble les actions passées des pairs ou d’autres individus, au sein des réseaux auxquels un individu agent économique appartient.
L’influence qu’exercent le milieu et le réseau d’appartenance sur les consommations est intégrée à un modèle mathématique sophistiqué prenant en considération la dépréciation du capital personnel qui peut intervenir au fil du temps. Dans un article ultérieur publié avec Kevin Murphy, Becker distingue même la part apportée par les individus leaders et celle des autres. En intégrant au calcul économique traditionnel les forces qui influencent la formation des choix et des jugements, Becker réfute l’idée que la rationalité puisse être limitée.
Le calcul économique, sous la plume de Becker, réussit à intégrer la variété des influences qui pèsent sur des individus qui demeurent libres de leurs choix, et, somme toute, maîtres de l’usage des contraintes sociales. James Duesenberry, commentant un des premiers travaux de Becker, écrira : "Les choix sont l’objet de l’économie, tandis que la sociologie traite de la raison pour laquelle les gens n’ont pas le choix".
Becker G.S. et Stliger G.J. “De Gustibus non est Disputandum”, American Economic Review, 67 (2), mars 1977 : 76-90.
Becker G.S. et Murphy K.M. « Optimal Social and Private Sorting Among Categories When the Composition of Members Matters », mimeo. Université de Chicago, 1994.
Duesenberry J.S. « Comment on ‘An Economic Analysis of Fertility’ », in Demographic and Economic in Developped Countries, Conference of the Universities-NBER, Princeton, NJ : Princeton University Press, 1960, p.233