Quel rapport entre la nage et le piano ? Gilles Sauvac, le héros de Piano ostinato, que l'on découvre s'appliquant à faire des longueurs à sept heures du matin dans une piscine municipale parisienne, avait la vie belle jusqu'à un fameux 7 janvier. Pianiste classique reconnu sans « être archi célèbre », « grâce à son talent (certain) et à son travail (non quantifiable) », trentenaire heureux propriétaire d'un trois pièces avec terrasse et vue sur le parc des Buttes-Chaumont, compagnon d'une chanteuse lyrique prénommée Clara et représenté par un agent lui assurant des contrats sur plusieurs années, il « faisait partie de ces élus qui vivent de leur art ». Toujours entre récitals, répétitions et entraînements sur son instrument à l'abri d'une coque isolante antibruit construite sur mesure. Comment « un homme volontaire et obstiné », pas vraiment porté sur l'exercice physique, s'est-il retrouvé à prendre des cours de natation ? Et à devenir sensible à « la musicalité des bassins », au « son sourd et lancinant, la note apaisante » « pas loin d'un ré mineur » des piscines ? C'est que cette « existence tapissée de musique », heureuse, a dévié de sa trajectoire après un soir funeste de concert où au début du deuxième mouvement du Concerto en la mineur opus 54 de Robert Schumann, le pianiste a ressenti une douleur envahissante au majeur droit. Ironie du sort comme Schumann lui-même - « Bobby » comme il l'appelle familièrement -, stoppé dans sa carrière d'interprète par une paralysie soudaine du même doigt presque deux siècles plus tôt et qui avait écrit pour sa Clara, sa femme pianiste virtuose, ce concerto. Cette déroute sans conséquence publique est un effondrement intime. Pas de pire drame qu'un pianiste dont le piano est toute la vie qui ne peut plus jouer ? Apprendre à nager empêche de couler, découvre alors notre virtuose qui observe aussi que la musique est partout puisque « nager c'est d'abord une histoire de tempo ». « Pour crawler en beauté, faut papillonner », affirme de son côté Sylviane, la maître-nageuse, initiatrice jamais à court de sages adages, qui l'encourage à apprendre la vaillance des tortues luths.
Professeure de lettres et auteure de documentaires radiophoniques, Ségolène Dargnies signe un premier roman bref aux faux airs de conte. Une histoire de musique et de dépouillement.
Piano Ostinato
Mercure de France
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 11,50 euros ; 92 p.
ISBN: 9782715248649