Jalonnant les allées du parc des Capucins, à Coulommiers, des œuvres d'art contemporain se fondent dans le décor bucolique créé au XVIe siècle par Catherine de Gonzague. En pierre ou en acier, ces sculptures constituent autant de témoignages des politiques culturelles déployées par Franck Riester comme maire de cette commune de Seine-et-Marne de 2008 à 2017. Nommé le 16 octobre à la culture, le ministre de 44 ans a su faire de cette ville de 15 000 habitants, d'abord connue pour son fromage du même nom, l'un de ses meilleurs atouts pour obtenir son poste actuel.
Passionné de politique depuis l'adolescence, Franck Riester y entame une carrière très tôt en se faisant élire dès 1995, à 21 ans, conseiller municipal à Coulommiers. Adjoint au maire à partir de 2001, il s'occupe d'abord des finances et du développement économique de la commune. Elu maire UMP ensuite, « il décide d'axer ce développement économique sur la culture », observe Delphine Trujillo, responsable du service culturel à la mairie de Coulommiers. Tout en s'inscrivant plutôt dans la continuité de ses prédécesseurs, Franck Riester a soutenu la création artistique et culturelle dans son territoire. Rénovation du théâtre municipal à l'italienne, obtention du statut de conservatoire de musique à rayonnement communal, mise en place de résidences d'artistes afin de faciliter l'accès à la culture par le biais d'une politique tarifaire... « Alors que les budgets alloués à la culture sont en baisse depuis des années en France, Monsieur Riester l'a maintenu constant à Coulommiers », défend Delphine Trujillo. Dans le même temps, le maire multiplie les allers-retours entre sa ville et Paris, où il siège à l'Assemblée nationale à partir de juin 2007.
Des livres et du fromage
Le député de Seine-et-Marne n'hésite pas à mettre à contribution son réseau parisien pour faire rayonner son fief. Fan de musique baroque, il réussit à intégrer le théâtre municipal de Coulommiers dans le réseau « La belle saison ». Créé par le Théâtre parisien des Bouffes du Nord, celui-ci fédère une vingtaine de théâtres et de salles de concerts européens dont l'acoustique permet la diffusion de musique de chambre. En 2011, il fait venir l'actrice et réalisatrice Mélanie Laurent pour inaugurer le premier salon du livre organisé dans la commune. D'autres amis suivront comme Frédéric Mitterrand, invité d'honneur de cette manifestation en 2015. Des auteurs défilent, dont David Foenkinos ou Philippe Jaenada. Tous sont invités à repartir avec un brie de Coulommiers en guise de cadeau...
Car Franck Riester a aussi mobilisé la municipalité et les professionnels pour obtenir l'appellation d'origine protégée (AOP) pour le brie de Coulommiers. Il a « cette double volonté, que je trouve cohérente, de développer la complémentarité culture-terroir. C'est dans notre ADN France, de Rabelais aux prix littéraires », salue le Columérien et éditeur de Sable polaire, Stéphane Million, qui a été, avec la bibliothèque municipale, à l'initiative du salon du livre. « Cette manifestation lui a permis [de franchir] un premier pas vers les acteurs de l'édition », poursuit-il en rappelant la création de La Librairie éphémère. Organisée par la seule Maison de la presse-librairie de la commune, Les Deux Muses, celle-ci occupe depuis quatre ans les anciens bâtiments administratifs de la mairie de Coulommiers. C'est là que Philippe Besson, ami proche de Franck Riester, a dédicacé en décembre 2017 Un personnage de roman, son dernier livre, qui retrace la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron.
Les deux hommes sont des proches du président de la République. Dans le cas de Philippe Besson, sa nomination fin août au poste de consul général de France à Los Angeles a maladroitement mis en lumière cette proximité. Avec Franck Riester, le rapprochement est intervenu en 2017, après son exclusion du parti Les Républicains. En désaccord avec le virage à droite entrepris par Laurent Wauquiez, le député de Seine-et-Marne devient un soutien « constructif » de la majorité La République en marche (LREM), en tant que chef de file du petit parti Agir. Auprès du gouvernement, il apparaît aussi comme le spécialiste de l'audiovisuel public en raison de son expérience au sein de la commission des affaires culturelles à l'Assemblée nationale. Après avoir participé, entre 2008 et 2009, à la commission pour la nouvelle télévision publique présidée par Jean-François Copé, il devient membre du collège de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Tous les médias ont retenu ses déclarations sur la suppression, qu'il défend, de la publicité sur France Télévisions et son idée de créer « une BBC à la française » avec France Télévisions et Radio France réunies sous la même bannière. Une prise de position qui le prédisposait pour mettre en marche, en 2019, la réforme de l'audiovisuel public.
Eclectique
Ambitieux Franck Riester ? Il est « discret, bien élevé et constant dans sa ligne politique : démocrate, libéral, pro-européen », tempère Stéphane Million. Inattendu aussi lorsqu'il soutient en 2011, contre l'écrasante majorité de sa famille politique, le projet de loi qui autorise le mariage gay, et finit, la même année, par avouer son homosexualité. « Pour autant, je n'ai jamais fait étalage de ma vie privée et continuerai à agir de la même manière », avait-il déclaré à l'époque.
Les goûts personnels du nouveau ministre sont « éclectiques », comme il l'a lui-même assumé, mardi 23 octobre, sur l'antenne de France Inter. Lecteur de Marguerite Yourcenar, il n'a « pas encore » lu Patrick Modiano, a-t-il plaisanté. Fan de Coldplay, il affiche son penchant pour l'art contemporain. Diplômé de l'Institut supérieur de gestion (ISG) et titulaire d'un master de gestion des collectivités territoriales de l'Essec, celui qui a repris l'entreprise familiale de concessions automobiles Peugeot a déjà pu exprimer « sa satisfaction » de se retrouver aujourd'hui à la tête de la Rue de Valois.
Franck Riester a confirmé qu'il y poursuivrait la ligne tracée par le président de la République et défendue jusqu'ici par une Françoise Nyssen fragilisée par l'ouverture d'une enquête pour travaux non autorisés dans sa maison d'édition. « Je m'emploierai à faire de ce ministère celui de la passion mise au service de la culture », a-t-il déclaré lors de la passation de pouvoir, en invoquant des artistes aussi divers que Nicolas de Staël, Goscinny et Uderzo, Jules Verne ou Rodin.
Le nouveau ministre de la Culture ne s'est pas encore prononcé sur les dossiers qui touchent le livre et l'édition, si ce n'est qu'il assurera la mise en œuvre du passe culture souhaité par le président de la République. Il devra toutefois apporter des réponses rapides. Le mandat de l'actuel président du Centre national du livre (CNL) devait s'achever le mercredi 24 octobre. Pour valider la nomination de son successeur, ou sa reconduction, le ministre devrait récupérer la tutelle du CNL et la régulation économique du secteur de l'édition. Ces attributions ont été prises en charge à partir de juillet par le Premier ministre pour éviter que Françoise Nyssen se trouve en situation de conflit d'intérêts. Autre sujet : le statut des directeurs de collection. Une audience en référé était prévue, mardi 23 octobre, au Conseil d'Etat. Les éditeurs devront donc apprendre sous peu s'ils pourront continuer, ou pas, de rémunérer leurs directeurs de collection en droits d'auteur après le 1er janvier 2019.