De la comédienne Fernanda Torres, prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes en 1986 pour son rôle dans Parle-moi d'amour d'Arnaldo Jabor, les lecteurs savent déjà toute la grâce et la finesse de son écriture depuis Fin, son premier roman paru chez Gallimard en 2015 et traduit dans plus de dix langues. Elle confirme tout son talent avec ce Shakespeare à Rio, brillante variation autour du paradoxe du comédien et plongée dans les eaux troubles de l'histoire de son pays lors de ces cinquante dernières années.
Son héros, Mario Cardoso, est un acteur qui eut son heure de gloire en incarnant les bellâtres adorés des ménagères brésiliennes dans des telenovelas alors au faîte de leur popularité. On le retrouve aujourd'hui à soixante ans, plutôt passé de mode, en train de se lancer dans une adaptation pour la scène et brésilianisée du Roi Lear. Le projet est ambitieux, assez risqué à vrai dire et va bientôt connaître, grâce à l'incompétence de tous - y compris de Mario, qui a peut-être visé un peu haut - un flop retentissant. Dans le même temps, alors qu'il voit fondre ses finances consacrées pour une bonne part à la production de cette pièce, Cardoso doit faire de fréquents allers-retours entre Rio où il vit et travaille et São Paulo, dont il est originaire et où sa mère développe tous les signes d'une démence sénile appelée à s'aggraver. L'occasion pour lui, entre deux avions et deux verres, de se retourner sur son parcours commencé alors que florissaient les expériences plus ou moins radicales et politiques d'un théâtre d'avant-garde qui se voulait plus brechtien que brechtien, en prise avec le peuple qui ne lui avait rien demandé... Cela donne lieu à des scènes fortement comiques, mais aussi un peu tristes. Une tristesse qui va peu à peu envahir le destin de Mario.
Nul doute que Fernanda Torres, aujourd'hui également productrice en plus de sa double casquette de comédienne et écrivaine, a dû croiser bien des Mario Cardoso... Tout l'intérêt de ce Shakespeare à Rio, c'est que Fernanda Torres, sans rien ignorer des traits parfois ridicules de son personnage, lui conserve toute sa tendresse et finalement lui prête une inattendue profondeur. Peut-être parce qu'il est le récipiendaire des espoirs et de la chute morale et politique du Brésil tout entier.
Shakespeare à Rio Traduit du portugais (Brésil) par Michel Riaudel
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 240 p.
ISBN: 9782072797804