Adolescent, il joue aussi bien au handball avec les jeunes du quartier HLM de Pithiviers, dans lequel son père avait établi sa pharmacie, qu'au tennis avec ses copains du centre-ville de cette sous-préfecture du Loiret où il habite. Fabien Truong, c'était à la fois le premier de la classe qui réussit tous les concours et fait du piano classique et le chanteur d'un groupe punk-rock qui tourne le week-end dans les bleds de Beauce, où la jeunesse du coin se donne rendez-vous. Dr Jekyll et Mr Hyde, Fabien Truong ? Pas vraiment. À le voir, le quarantenaire a l'air fort cohérent, rien chez lui qui indique un quelconque clivage. Cheveux mi-longs, look cool, bien dans ses baskets qu'il garde quand il enseigne à l'université... quoiqu'il n'y ait pas toujours enseigné.
Frais émoulu de l'ENS Cachan, département sciences sociales, le jeune agrégé décide d'être prof remplaçant en banlieue parisienne. « Je ne voulais pas m'embarquer tout de suite dans une thèse, je préférais me frotter au réel et également transmettre. » Fabien aime naviguer entre des univers très différents, jouer le jeu du monde académique comme fréquenter la ZUP ou le milieu musical - en parallèle des études, il poursuit une carrière de rocker avec son groupe Karma Sutra. Il faut dire que la diversité, le métissage, Fabien connaît. Il en est même un produit. De père vietnamien, d'un milieu urbain, et d'une mère beauceronne, fille d'agriculteurs - les parents s'étaient rencontrés à la fac - Fabien Truong grandit en ne parlant que l'idiome national mais avec une douce présence vietnamophone : Bà, sa grand-mère paternelle, vit chez eux. S'il ne sait pas la langue de l'aïeule, il connaît les saveurs de sa cuisine qui l'ont accompagné toute son enfance. Il les retrouvera lors d'un voyage organisé par un ancien collègue du lycée Paul-Éluard de Saint-Denis avec des jeunes issus de l'immigration − le séjour au Vietnam faisait suite à un précédent en Nouvelle-Calédonie, durant lequel, à l'invitation du même enseignant, il avait consigné l'expérience des élèves. Il accouchera finalement non pas d'un essai mais de ce premier roman, La taille des arbres, où s'enchevêtrent les deux périples.
- Bio : 1977 Naissance dans le Loiret. 1998 Entrée à l'ENS Cachan. 2001 Agrégation de sciences économiques et sociales (SES). 2004-2010 Professeur de SES en banlieue parisienne. Depuis 2010 Professeur agrégé au département de sociologie et d'anthropologie de Paris 8. 2015 Thèse de sociologie à l'EHESS. 2019 Coréalisation avec Mathieu Vadepied du documentaire Les défricheurs.
Essai ou fiction, le terrain prime. Truong est l'inverse de cette sociologie ex cathedra, qu'il appelle le « sociologisme », une théorie prête à penser que viennent justifier des données allant dans un sens préétabli. Le déplacement, la surprise, la rencontre, voilà ce qui motive le sociologue. En même temps que son premier roman, l'auteur de Des capuches et des hommes (Buchet Chastel, 2013), qui codirige avec Paul Pasquali aux éditions de La Découverte la collection « L'envers des faits », publie en poche Jeunesses françaises, une étude très concrète sur des « Bac + 5 made in banlieue ». Dans La taille des arbres, il troque la plume du chercheur en sciences sociales contre celle de l'écrivain parce que la littérature témoigne encore. Mais autrement : « L'écriture ne va pas en ligne droite mais décrit des cercles concentriques qui se font écho. » Aux voix de cette jeunesse diverse mâtinées du phrasé du « 9-3 », l'auteur mêle la sienne propre. Et l'enquête de glisser vers la recherche de ses propres racines vietnamiennes, de devenir - et c'est ce qui touche - une manière de Souvenirs d'égotisme de l'enquêteur par soi-même enquêté.
La taille des arbres
Rivages
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782743654979