Météo infecte et pouvoir d’achat en berne. Les ingrédients étaient à nouveau réunis, sur le marché du livre de jardinage, pour engendrer une année 2013 très morose. Malgré un redressement en mai, les ventes, selon Ipsos, se sont contractées de 7 % en nombre d’exemplaires et de 3 % en valeur. Les facteurs conjoncturels, qui ont joué, de l’avis des éditeurs, un rôle clé, se sont ajoutés aux difficultés inhérentes à ce segment : sa taille réduite - il ne pèse que 6 % de l’ensemble du secteur pratique - et ses thématiques forcément classiques. "Les nouveaux sujets sont difficiles à trouver, et renouveler les approches sur des thèmes traditionnels est tout aussi périlleux ", souligne en effet Anne Le Meur, responsable projet du secteur jardin et nature chez Hachette Pratique.
Une extrême prudence reste donc de mise chez les éditeurs, qui réduisent la voilure en termes de production : 146 nouveautés et nouvelles éditions sont annoncées de janvier à avril 2014, contre 190 pour la même période l’an dernier (- 30,1 %, voir notre bibliographie p. 63). Certaines maisons comme Solar ou La Plage interrompent même leur production pour se recentrer sur des secteurs plus porteurs. Le mouvement s’accompagne logiquement d’un retour en force aux racines, aux fondamentaux, aux valeurs sûres dans le choix des thématiques abordées, où le jardin alimentaire trouve les faveurs du public au détriment de celui d’agrément. Les livres de moyenne gamme de prix (20 à 30 euros), au contenu fiable par rapport aux ressources grappillées sur Internet, sont à nouveau plébiscités.
Fini, les tout petits prix !
Revenant sur ses positions, Larousse abandonne définitivement ses tout petits prix, à moins de 5 euros. "Le seuil de rentabilité était bien trop haut à trouver", souligne Catherine Maillet, directrice éditoriale du secteur jardin. S’appuyant sur les bonnes ventes des Orchidées, paru en octobre dernier, la maison poursuit en 2014 la révision complète de sa collection phare "Le petit Larousse de", avec en février la reprise d’un titre dédié aux Bonsaï à 22,90 euros. Suivant la même stratégie, Terre vivante publie en mars dans sa collection de guides Aménager et fleurir son jardin (35 euros). Rustica continue de développer ses "Traités", qui parviennent à conserver de bons niveaux de réassort avec, en février et mars, la réédition de deux livres dédiés au potager et aux fleurs, et une nouveauté, Le traitéRustica de la ferme familiale (36 euros). Leur déclinaison allégée, "Les petits traités", qui varient autour de 20 euros et dont les éditions portant sur les champignons ou le potager en carré ont épuisé leur tirage en 2013, s’enrichit également d’un nouveau titre, Les soins bio aux arbres fruitiers.
Parallèlement à cette production de référence destinée aux amateurs avertis, les éditeurs tentent de séduire une cible plus jeune, possédant peu de bases, en développant une gamme d’ouvrages très pédagogiques et riches en illustrations mettant en valeur les dimensions ludique et détendante du jardinage. "Ce public est avide de loisirs offrant toujours moins d’obligations. Nous tâchons donc de concevoir des ouvrages qui proposent des techniques simples, permettant d’assouplir les contraintes du jardin et d’aller vite", explique Elisabeth Pegeon, directrice éditoriale chez Rustica, qui consacre une nouvelle collection à cette tendance. Lancée au printemps, "Jardin relax" compte trois titres, Le potager d’une feignasse, Les trois plaies du jardinier et Mon balcon flower power. Chez Larousse, le très pédagogique Potager mode d’emploi, riche en photos, et Faites-en moins au jardin !, dans la série des "Larousse attitude", poursuivent le même objectif. Terre vivante a choisi de cultiver l’interactivité et l’individualisation en demandant à l’un de ses jardiniers phares, Blaise Leclerc, de tester la culture d’une quarantaine de variétés de tomates et de cucurbitacées, offrant ainsi un banc d’essai au consommateur. Le retour d’expérience, agrémenté de conseils de culture et de recettes, est exposé dans deux ouvrages : Elles sont bonnes mes tomates ! (février) et Mes courges, melons, pâtissons (mars).
Toujours dans l’optique de varier les approches et d’élargir les propositions, Larousse expérimente le mariage des thèmes avec, en mars, Micro jardins, qui met en scène 35 idées pour transformer l’art du jardin en loisir créatif. Exploitant la même veine mais vers un public plus jeune, Rustica propose Créa-nature tout en poursuivant sa logique de diversification du côté du bien-être, de la cuisine et de la jeunesse. Directrice de Marabout, Elisabeth Darets parie, elle, sur Le nuancier Marabout des fleurs par la couleur, présentant plus de 300 espèces classées selon leur teinte. "Cette approche originale par la décoration nous ressemble plus et offre un bon test pour savoir si l’offre peut animer le marché, comme en cuisine ", plaide l’éditrice.
Cultiver sa santé
Toujours dans la transversalité, Hachette Pratique préfère se rapprocher du bien-être avec, en février, la publication de Jardins extraordinaires dans sa collection de dessins "Art-thérapie". Le Chêne apporte sa pierre à la thématique, déjà bien exploitée, de la culture du potager jusqu’à la dégustation, dans le tome 3 de Silence ça pousse !, Du potager à l’assiette, par le jardinier de France 5, Stéphane Marie, paru le 5 février. Le Rouergue lui emboîte le pas avec deux beaux livres réalisés par deux auteurs maison, Les plantes aromatiques de la maison, par Josep Maria Vallès, et Mon jardin dans un bocal d’Alys Fowler.
Le contexte n’incitant pas à la prise de risque, l’exploration des niches, qui s’apparente à un quitte ou double, reste cette année mesurée. Lancée en 2012, la collection "Jardin malin" de Rustica, dédiée aux sujets innovants, ne sera pas alimentée cette année. Capitalisant sur les bons réassorts du Manuel de culture sur butte, la maison préfère expérimenter Le jardinage sur bottes de paille, disponible le 21 février. Ulmer se penche sur les Cerisiers du Japon et autres prunus d’ornement et détaille, dans Buis et autres topiaires, les nouvelles maladies qui attaquent ces espèces. Chez Larousse, l’audace réside davantage dans les formats. Catherine Maillet décline au jardin le livre-objet, une recette qui a fait les beaux jours de la maison dans le secteur de la cuisine. Trois titres bon marché sont sur les tables en février : Tailler sans se tromper, en forme de sécateur, Réussir son potager, qui imite une caisse de légumes, et Orchidées. Un peu plus cher, à 10,90 euros, Mon potager en carrés propose 8 petits livres dans un support cartonné qui imitent un jardin en carrés. "Nous sommes plus dans le livre cadeau, le clin d’œil à offrir", souligne l’éditrice.
Les grands sujets porteurs sont donc largement réinvestis avec une production fournie sur le potager, qui reste la tendance forte, et sa déclinaison en carrés. L’autosuffisance et sa version plus savante, la permaculture, consolident leurs positions. Terre vivante y consacre un titre dans sa collection "Conseils d’expert", alors qu’Ulmer vulgarise le sujet sans sa gamme "Faire soi-même". Larousse mise davantage sur les semis, avec deux titres, tout comme Glénat, qui y consacre un livre dans "Les guides Mon jardin & ma maison", et Ouest-France, qui propose avec Semis, bouturage, division, marcottage, greffage : je multiplie mes plantes un ouvrage sous forme de fiches pratiques. L’agriculture urbaine est également bien installée, avec deux titres chez Ulmer, dont un essai qui dresse un état des lieux des différentes pratiques dans le monde et un Potager urbain (avril) chez Hachette Pratique, qui a resserré sa production autour des grands thèmes phares.
Jardiner avec des QR codes
La culture avec la lune ou au fil des saisons, les plantes aromatiques et médicinales, revisitées notamment par Les plantes du bien-être, somme publiée en janvier au Chêne, les petits jardins, pour balcons ou terrasses, l’aménagement et l’écosystème du jardin conservent également leurs attraits. David Kings, responsable des licences chez Glénat, s’appuie sur ces thèmes pour initier une nouvelle collection plus proche par sa pagination, 200 pages, son format, 20 × 28 cm, et son prix, 12,99 euros, du public des librairies. "Les grands dossiers Mon jardin & ma maison" propose 4 titres dont Petits jardins, terrasses et balcons et Jardiner au fil des saisons. Artémis, qui a confié sa diffusion à De Borée pour pénétrer le marché des librairies, mais de 2e et 3e niveaux, annonce une dizaine de nouveautés dont Cultiver son potager avec la lune (qui remplace le précédent Agenda du potager) et des rééditions : Un jardin pour les oiseaux, Un jardin pour les petits animaux. La maison remet aussi en vente sa gamme de petits livres à 7,50 euros "Focus Artémis" avec trois titres : Lutter bio contre les parasites, 200 plus belles vivaces et Jardins en bacs.
Dans la foulée de l’offensive lancée l’an dernier par Belin avec son Guide des oiseaux de France qui proposait des QR codes rendant immédiatement accessibles le chant ou le cri de 400 espèces d’oiseaux, plusieurs éditeurs proposent aux lecteurs de tester au jardin cette technologie. Six ouvrages parsemés de codes sont annoncés pour mars. Ulmer décline sa collection "Mini-maxi" avec quatre nouveaux titres dans lesquels 10 à 15 QR codes renvoient vers des vidéos pédagogiques d’une à deux minutes "expliquant des gestes très pratiques", précise Antoine Isambert. L’éditeur a retenu des thèmes tendance pour débuter : le bouturage, le potager en carrés, l’élevage des poules et le jardin sur balcon. De son côté, chez Rustica, Elisabeth Pegeon a aussi misé sur des valeurs sûres, potager et jardin, pour lancer les deux premiers titres d’une nouvelle collection "En un flash", qui repose sur le même principe. <
Nature et jardinage en chiffres
Nature : consolider les acquis
Très régulières, les ventes des livres de nature se sont encore maintenues l’an dernier. Face à la baisse des prix publics, les éditeurs misent sur les valeurs sûres : guides d’identification et ouvrages de référence sur les oiseaux, les plantes, les insectes et les animaux de compagnie.
Toujours porté par ses ventes de fonds, le marché de la nature a bénéficié en 2013 d’une nouvelle année de stabilité. Les éditeurs ont pourtant senti plus intensément passer le vent de la crise, qui provoque une tension sur les prix. "La tendance à l’économie est très claire, souligne Frédéric Lisak, directeur de Plume de carotte. Aujourd’hui un livre à 35 euros est trop cher, ce qui n’était pas le cas il y a deux ans. Il s’est produit un vrai changement de perception. " Peu nombreux sur le marché, les livres à tout petits prix ont d’ailleurs plutôt bien fonctionné, contrairement au jardinage. Les "Mini Larousse" à 3,50 euros se sont écoulés à quelque 5 000 exemplaires au titre, selon Catherine Delprat, directrice éditoriale chargée de la nature. Suite à ces résultats probants, la collection s’enrichit d’ailleurs en 2014 de trois titres sur les nouveaux animaux de compagnie (NAC), les poissons d’aquarium et les lapins nains et hamsters.
Repli sur les valeurs sûres.
"Il y a de bonnes nouvelles, comme la progression de 4 % du flux de nouveautés et le taux de retour en baisse, admet Philippe J. Dubois, directeur de Delachaux et Niestlé. Mais quand on regarde de plus près, les mises en place sont plus faibles et le fonds a souffert. Les indicateurs ne sont donc pas franchement au vert." Pour autant, l’éditeur n’infléchit pas le nombre de ses nouveautés, dont une bonne quarantaine sont prévues en 2014. Il poursuit aussi sa stratégie de consolidation du fonds, "véritable moteur de la maison", en creusant notamment la veine du livre de référence et du guide d’identification, toujours plébiscité par le public. En mars paraîtra Tous les oiseaux de France, un guide reposant sur l’interaction et la didactique à travers la photo. Un peu plus tard dans l’année sont programmées deux sommes, une sur les "bêtes de plage", et une sur l’Aubrac, présentant le travail ethnologique de Jean-Dominique Lajoux.
Comme Philipe J. Dubois, la plupart des éditeurs ont donc choisi d’alimenter leur gamme existante et de se replier sur les valeurs sûres que sont les oiseaux, les plantes, les insectes et les animaux de compagnie, véritables mannes du secteur nature. A côté du Livre des roses, prévu en avril, et de la réédition de son guide des teintures naturelles, Belin complétera sa collection "Fous de nature !" par deux nouveaux titres sur les plantes des milieux humides et les fleurs des forêts. Glénat ajoute six nouveautés à sa collection "Les mosaïques nature", misant essentiellement sur les comestibles. Larousse enrichit ses trois gammes, "Guide nature Larousse", "Nature en poche" et "Quel est ?", qui couvrent l’ensemble des publics, avec un à deux ouvrages sur des sujets porteurs, tels que les minéraux et les pierres précieuses. Nathan poursuit ses rééditions dans ses trois collections, "Miniguide tout terrain", "Gros plan sur…" et "Mais quel est donc ?".
Intriguer le lecteur.
La production consacrée aux animaux reste également très prudente, avec peu de titres et des thématiques ultra-classiques : chats, chiens, poules et petits élevages familiaux. Larousse, qui annonce une nouvelle collection en partenariat avec la Société protectrice des animaux (SPA) pour avril, creuse la veine psychologique, avec la parution fin février de Un chat sur le divan en "Larousse attitude". Côté bibles, Delachaux et Niestlé, avec le Guide des chevaux du monde qui présentera 570 races de chevaux et bénéficiera d’une déclinaison enrichie sous format ePub et utilisable sur smartphone, et Ulmer, avec La bible des soins naturels pour le cheval, le poney et l’âne, tentent une percée du côté des équidés.
Déjà en perte de vitesse très nette l’année dernière, l’écologie n’attire plus que les éditeurs qui possèdent déjà des collections, comme "Le vrai du faux" de Delachaux et Niestlé. Chez Plume de carotte, Frédéric Lisak s’appuie sur les résultats encourageants dégagés en 2013 par La nature au café du commerce, premier titre de la collection décalée "Les engagés", pour développer la gamme avec trois nouveaux titres dont Espèces, vos papiers ! en avril. "L’écologie catastrophiste ne fonctionne plus, et les pensums non plus. Désormais, il faut savoir raconter des histoires aux lecteurs, les intriguer et les amuser. C’est d’ailleurs valable pour tous les livres de nature", constate l’éditeur. Contraint d’aller chercher un investisseur extérieur pour passer un cap de trésorerie difficile, il a engagé une réflexion, à l’horizon 2015, "autour de l’objet livre. L’objectif, c’est de faire du livre précieux, par sa forme, son poids, son ambiance, mais pas luxueux. C’est à ce prix que l’on tirera notre épingle du jeu." En attendant, et même s’il parie pour la fin d’année sur "quelques beaux livres un peu chers", il se concentre sur des projets à prix plus modestes en lançant notamment au printemps une déclinaison des livres de land art de Marc Pouyet, quatre titres à 15 euros et au format 19 × 19. Avec Cuisine des jardins du monde, une traduction de l’anglais à paraître en mars, l’éditeur teste également un élargissement de ses thématiques, qui sera poursuivi en fonction des premiers résultats. <
Les 50 meilleures ventes en nature et jardin : le potager en grande forme
Pour la troisième année consécutive, les mêmes titres occupent les trois premières positions du classement Ipsos/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres de nature et jardinage. Au-delà, le palmarès 2013 enregistre des modifications. Le récit de Jim Fergus Espaces sauvages (Pocket) vient jouer les trouble-fête en s’installant en 9e position. Le grand classique animalier de chez Larousse, Mon chat est un hypocrite, recule, lui, de la 4e à la 11e place. Référence en matière de jardin écologique, Le Guide du nouveau jardinage de Dominique Soltner gagne 5 places pour se hisser au 6e rang, et la tendance survivaliste fait une incursion avec l’irruption du Guide de la survie extrême de Bear Grylls (Hachette Pratique) à la 19e place.
Le classement reste cependant dominé par des thèmes très classiques. Le potager consolide ses positions avec 14 ouvrages classés, contre 9 l’année dernière. Le jardinage avec la lune reste aussi une valeur sûre avec 4 titres. Si elles reculent dans la seconde partie du tableau, les poules placent cependant 4 références au Top, contre deux en 2012, au détriment des chats et des chiens, qui ne sont plus représentés que par 4 titres contre 9 un an plus tôt.
Malgré le pouvoir d’achat des ménages en berne, les amateurs continuent à investir dans des ouvrages de référence ou dans des beaux livres qui coûtent plus de 20 euros. Le palmarès 2013 en compte 16, soit deux de plus que dans celui de 2012. Cinq titres dépassent même les 30 euros, un seuil psychologique pourtant de plus en plus difficile à franchir selon un bon nombre d’éditeurs. <