Handicap, illettrisme, dyslexie… Aujourd'hui en France, 13 millions de personnes n'ont pas accès à la lecture, estime l'Alliance pour la lecture. Parmi elles, de nombreux enfants aux besoins variés, et leurs parents ou enseignants, en quête d'ouvrages adaptés. « Nous étions régulièrement confrontés à des demandes, surtout autour de la dyslexie, auxquelles nous ne savions pas vraiment répondre », explique Xavier de Finance, associé gérant de la librairie jeunesse Les 400 coups au Havre (Seine-Maritime). Mais ça, c'était avant. Avant qu'il suive la formation dispensée depuis 2023 par l'agence Normandie Livre & Lecture (N2L) et l'association Signes de sens pour accompagner bibliothécaires et libraires dans la mise en place d'un espace Édition jeunesse accessible.

EJA. Trois petites lettres pour un ambitieux programme lancé en 2018 afin que chaque famille trouve des livres adaptés à moins de 30 minutes de chez elle. « Soit les professionnels du livre mettent en place leur espace de manière autonome avec les outils qu'on propose sur le site, soit on les accompagne dans le cadre de formations, notamment sur certains territoires qui veulent impulser une dynamique. En ce moment, ça se développe pas mal en Auvergne-Rhône-Alpes, et bien sûr en Normandie », souligne Virginie Brivady, chargée de projets Lecture chez Signes de sens.

Trouver la bonne adaptation

En Normandie, 33 personnes ont ainsi été formées en 2023 et 2024 lors de sessions en présentiel et en visio. Par ailleurs, 21 bibliothécaires, cinq libraires et une association de développement de la lecture sont en cours de formation depuis mai 2025. « Notre premier souhait était d'apprendre à s'y retrouver dans les propositions éditoriales autour de la dyslexie », indique Xavier de Finance, aidé financièrement par N2L pour l'acquisition d'une partie du stock. « Dans les livres pour dys, il existe plusieurs types d'adaptation correspondant à des besoins spécifiques : l'idée est d'identifier les besoins des enfants pour leur proposer la bonne collection. Si ce n'est pas adapté, c'est contre-productif », observe Virginie Brivady.

« Une jeune fille dyslexique de 14 ans a découvert qu'avec de gros caractères et du papier mat, elle pouvait avoir accès à des classiques, que cette adaptation suffisait. Avant elle fonctionnait avec la bibliothèque sonore de la ville, désormais elle pioche dans notre assortiment », rapporte Claire Gallais, qui a ouvert avec Adèle Feltgen la librairie Cerises & moineaux en janvier 2024, à Vernon (Eure).

La formation a permis au duo d'y voir plus clair entre livres adaptés aux troubles dys, Falc (Facile à lire et à comprendre), pictogrammes, gros caractères… Et de proposer l'adaptation la plus juste parmi la centaine de titres de son assortiment. À Flers (Orne), Cécile Prévert, de la librairie Quartier libre, souhaite quant à elle se former « pour étendre ce rayon à d'autres problématiques : troubles autistiques, littérature braille… »

Des livres pour tous les enfants… Et les adultes

Si les troubles dys sont en effet les plus adressés par l'édition, d'autres difficultés de lecture existent. Par ailleurs, l'offre éditoriale peut concerner un public plus vaste qu'il n'y paraît. « On s'est rendu compte que plein d'enfants sans problème de dyslexie vont vers ce rayon-là parce que les textes sont plus faciles à lire, plus aérés », remarque Cécile Prévert.

« On est entrés par le prisme dyslexie, mais l'idée de l'EJA est de s'adresser à tous les enfants, abonde Xavier de Finance. Il ne s'agit pas de catégoriser par trouble ou handicap mais de proposer des livres accessibles, avec différentes adaptations - albums sans texte, romans syllabés, etc. - qui peuvent aussi intéresser les autres. » Y compris des adultes en situation de handicap, allophones, ou en apprentissage de lecture.

« Plus on avance en âge, moins il y a d'offres », nuance cependant Amandine Gaillard, qui a ouvert avec son mari en décembre dernier L'Inventorium, une librairie jeunesse dans le centre de Beauvais (Oise). « À partir de 13-14 ans, les livres sont énormes. Nos étoiles contraires, par exemple, fait 15 centimètres d'épaisseur parce que la police est adaptée, ce qui le rend difficile à manier », remarque-t-elle. « À cet âge-là, ils passent soit sur du livre audio soit sur des tablettes pour adapter la police, ou alors ils ne lisent pas », regrette la libraire.

Une proposition « volontariste »

Outre les livres, L'Inventorium propose des fournitures adaptées pour les troubles de l'apprentissage, la dysgraphie, la dysorthographie, la malvoyance, les troubles autistiques… « On s'est formés en autodidactes autant pour ouvrir la librairie en elle-même que pour développer cette offre adaptée. Nous avons pris beaucoup de conseils auprès d'orthophonistes et de psychologues, tout en nous rapprochant d'établissements spécialisés », retrace Amandine Gaillard.

Chez Cerise & moineaux, Claire Gallais et Adèle Feltgen vendent aussi quelques accessoires sans pouvoir étoffer l'offre car les remises avec les fournisseurs ne sont pas suffisantes, autour de 20 %. De la même façon, les remises pour certains ouvrages peuvent être très faibles. « Proposer de l'édition accessible est un acte volontariste puisque la majorité des livres ne sont pas ou peu remisés, donc on n'ira pas au-delà de ce qu'on a déjà », indique Claire Gallais. « C'est un investissement certain, estime Xavier de Finance. Mais c'est important de ne pas exclure des enfants demandeurs de lecture parce que lorsqu'ils décrochent, il est souvent difficile de les y remettre. On a notre rôle à jouer à côté des bibliothèques et des écoles. »